4 octobre 2022
Actualités | Droit public, Energie & Environnement
Après que sa première version dès sa sortie à la fin du mois d’août a déjà suscité de nombreuses réactions en dépit du calme estival, le projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables a été présenté en Conseil des ministres le 26 septembre, après quelques ajustements à la suite notamment de l’avis défavorable du Conseil national d'évaluation des normes du 8 septembre dernier et de l’avis du Conseil d’Etat, et rentre officiellement dans le processus législatif devant le Sénat.
Ce projet part du constat qu’en France, « il faut en moyenne 5 ans de procédures pour construire un parc solaire nécessitant quelques mois de travaux, 7 ans pour un parc éolien et 10 ans pour un parc éolien en mer ». Dans le contexte des crises climatique et énergétique actuelles, ce projet a pour ambition de remédier à la « lourdeur de nos procédures administratives et contentieuses » et de favoriser le développement des énergies renouvelables. Le projet de loi propose trois moyens d’y remédier : la simplification administrative, la mobilisation de foncier et le partage de valeur. Ces mesures évolueront certainement lors des débats parlementaires et seront très probablement soumises à l'examen du Conseil constitutionnel. Mais, quoi qu'il en soit du texte de loi définitif, ces mesures auront des conséquences concrètes et ne concerneront pas que le secteur de l’énergie. Il est dès lors important d'en cerner et maitriser d'ores et déjà les contours.
Trois sources de ralentissement des projets d’énergies renouvelables sont identifiées : les autorisations, le raccordement et les contentieux. Les mesures projetées pour réduire ces contraintes, pour être efficaces, devront être accompagnées d’une augmentation des capacités et des moyens, notamment au sein de l'administration et des gestionnaires de réseaux publics d’électricité, pour faire face à la multiplication du nombre de projets à mettre en œuvre dans des délais contraints.
La simplification des autorisations administratives
L’instruction du 16 septembre 2022 relative à l'organisation de la répartition et du délestage de la consommation de gaz naturel et de l'électricité dans la perspective du passage de l’hiver 2022-2023 et à l'accélération du développement des projets d'énergie renouvelable a anticipé la future loi en fixant un objectif d’instruction de 24 mois maximum pour un nouveau projet, et de 18 mois pour le repowering ou l’augmentation de puissance de parcs existants. A l’échelle de la durée des travaux d’installation de panneaux photovoltaïques, ces durées restent longues.
S’agissant des procédures d’urbanisme, le projet de loi prend entend simplifier les procédures de modification des documents d'urbanisme afin d'accélérer et de faciliter l'implantation d'installations d'énergie renouvelable. Le déploiement de tels projets peut en effet nécessiter l'adaptation des documents d'urbanisme dès lors que leur installation irait à l'encontre des orientations d'aménagement posées par le document ou serait envisagée dans des zones soumises à des prescriptions spéciales. L'article 3 du projet de loi instaure les mesures relatives aux procédures d'urbanisme applicables aux projets d'installations d'énergie renouvelable et à leur raccordement au réseau électrique.
En premier lieu, le texte porte modification de l'article L. 153-31 du code de l'urbanisme afin que puisse être mobilisée la procédure de modification simplifiée, en lieu et place de la procédure de révision qui apparaît excessivement longue et disproportionnée, pour amender certaines dispositions du plan local d'urbanisme (PLU). Ainsi, le changement d'orientations définies par le projet d'aménagement et de développement durable (PADD), la réduction d'un espace boisé ou la modification des règles applicables aux zones agricoles, naturelles ou forestières relèvent de la procédure de modification simplifiée lorsqu'ils sont rendus nécessaires par l'implantation d'installations de production d'énergie renouvelable.
Par ailleurs, la possibilité de mettre en compatibilité le PLU avec un projet d'intérêt général au terme d'une procédure de déclaration de projet menée par l'Etat serait désormais ouverte aux projets d'énergie renouvelable grâce à l'article L. 300-6 du code précité, et ce sans que ne fasse obstacle la contrainte faite à l'Etat de ne pas porter atteinte à l'économie générale du PADD du PLU. A cet égard, le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) a averti d'une potentielle atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales, protégé par l'article 72 de la Constitution, du fait de l'intervention de l'Etat dans une compétence relevant de l'échelon local. Le Conseil d'Etat n'a pas retenu cette critique dans son avis sur le projet de loi. Dans le cadre de la procédure de mise en compatibilité par déclaration de projet, le nouvel article L. 300-2 du code de l'urbanisme contribuerait à la volonté d'accélération des procédures d'urbanisme par la mise en œuvre, en amont de l'enquête publique exigée pour la déclaration de projet, d'une procédure de concertation unique portant à la fois sur le projet et sur la mise en compatibilité du document d'urbanisme de manière à mutualiser les obligations en matière de consultation du public propres à ces deux procédures.
Si ces innovations faciliteront l'accélération des projets d'installations d'énergie renouvelable, le projet de loi les présente pour autant comme des mesures d'urgence dont l'application ne serait prévue que pour une durée de 4 ans à compter de la promulgation de la loi.
S'agissant des procédures environnementales, le gouvernement a abandonné l'hypothèse d'une modification de l'annexe de l'article R.122-1 du code de l'environnement définissant les seuils de soumission systématique ou au cas par cas à évaluation environnementale. De fait, et même si le principe de non-régression ne figure pas en tant que tel dans la Charte de l'environnement et n'y a pas, à ce jour, été "découvert" par le Conseil constitutionnel, la question était délicate et pouvait porter atteinte à l'équilibre d'ensemble du projet.
En revanche, le projet de loi vient s'attaquer à la question de l'octroi des dérogations portées à la protection des espèces telle que celle-ci résulte des dispositions des articles L.411-1 et suivants du code de l'environnement. Ces dispositions législatives sont ressenties par les porteurs de projets comme venant le plus s'opposer au développement de leurs activités : de fait, elles sont extrêmement rigoureuses dans leur formulation et leurs effets puisqu'elles reposent sur le principe de l'interdiction de toute activité qui porterait atteinte à une espèce protégée et, au-delà de l'espèce, à son habitat. Et si une dérogation peut être apportée à cette interdiction de principe, ces conditions en sont rigoureuses puisqu'il doit être cumulativement et simultanément, établi qu'il n'existe pas de solution alternative satisfaisante, que la dérogation ne nuit pas au maintien des populations d'espèces concernées dans un état de conservation favorable et que la dérogation est justifiée par une raison impérative d'intérêt public majeur (ci-après RIIPM), qui peut être de nature sociale ou économique. C'est cette dernière condition qui fait l'objet de l'article 4 du projet de loi : cet article tend en effet, d’une part, à reconnaître une RIIPM venant au soutien de projets d’énergies renouvelables qui répondront à des conditions techniques fixées par décret en Conseil d’État ; d’autre part, cet article prévoit, pour tous les projets reconnus d'intérêt public que la déclaration d’utilité publique (DUP) puisse valoir reconnaissance d'une RIIPM à l'encontre de la jurisprudence et de la doctrine qui jusqu'alors considéraient que l'intérêt public au sens de la DUP n'était qu'un indice -certes fort- de la RIIPM justifiant qu'il soit porté atteinte à une espèce protégée.
Toujours au plan environnemental, le projet de loi élargit le champ de la participation du public par voie électronique en dispensant d'enquête publique les projets soumis à permis de démolir ou à déclaration préalable en vertu du titre IV du code de l’urbanisme mais qui font l’objet d’une évaluation environnementale après un examen au cas par cas. Par ailleurs, dans les cas où une enquête publique n’est pas requise et que s’impose une simple participation du public par voie électronique, le projet de loi supprime la faculté laissée au préfet d’obliger, le cas échéant, à organiser une enquête publique.
Enfin, le projet de loi prévoit en son article 5 de modifier les dispositions de l’article L. 181-18 du code de l’environnement relatif à l’office du juge de plein contentieux des autorisations environnementales afin que la faculté qui lui est aujourd’hui ouverte de prononcer une annulation partielle, limitée à une phase de l’instruction d’une demande d’autorisation environnementale ou à une partie de cette autorisation, ou de surseoir à statuer en vue de la régularisation d’un vice, constitue désormais une obligation lorsque les conditions d’une telle annulation partielle ou d’une telle mesure de régularisation sont réunies. Cette modification de la procédure contentieuse est directement inspirée des dispositions des articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, applicables aux autorisations d’urbanisme, qui sont communément mises en œuvre par les juridictions administratives.
La simplification du raccordement au réseau
Le projet de loi habilite le Gouvernement pour simplifier le raccordement des installations de production d’électricité à partir d’énergies renouvelables au réseau de distribution, dont Enedis à la charge sur 95% du territoire, ou de transport, sous le monopole de RTE. Le processus actuel de raccordement au réseau, condition sine qua non du démarrage de la production d’électricité, est long et complexe, et fait peser une réelle incertitude sur le calendrier de mise en exploitation des projets. Si le but est d’accélérer et de simplifier les procédures applicables en pré-équipant certaines zones d’installations de raccordement, et anticipant certaines études et procédures, il faudra attendre les futures ordonnances pour en mesurer la portée.
La simplification des contentieux
Enfin, le projet de loi ne vise pas de mesure ciblée pour réduire le nombre ou la durée des contentieux qui sont nombreux, et touchent particulièrement les projets éoliens. Là encore il faudra attendre les mesures réglementaires complémentaires au projet de loi, annoncées par le Président de la République dans son discours d’inauguration du parc éolien en mer de Saint-Nazaire, qui ont vocation à réduire la durée des contentieux à 2 ans et demi maximum, soit environ 10 mois par instance.
Le projet de loi identifie plusieurs catégories de sites dont le sort est traité de façon à permettre l’implantation de projets photovoltaïques :
Cependant, comme l’a d’ailleurs souligné le Conseil d’Etat dans son avis sur le projet de loi, cet article manque de clarté, et en rend la contrainte qu’il impose à peu près illisible, notamment quant au mode de calcul de la surface des parkings concernés, des aménagements imposés, du régime de propriété desdits parkings et du point de départ des délais.
Un autre moyen d’accélérer le développement des énergies renouvelables est d’assurer leur acceptabilité, en mettant en avant le partage de valeur qu’elles représentent.
Le projet de loi prévoit à cet égard d’encadrer les power purchase agreement (PPA), qui sont des contrats de vente d’électricité de gré à gré entre un producteur d’énergie renouvelable et un consommateur, afin d’encourager leur développement (article 17). A ce titre, en guise d’encadrement, il soumet désormais le producteur qui conclut un PPA au même régime d’autorisation que les fournisseurs d’électricité, ou à défaut, les oblige à recourir à un fournisseur autorisé pour les besoins de ce PPA.
Cela remet donc les fournisseurs d’électricité au cœur du marché de l’énergie photovoltaïque.
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Ce projet de loi, qui comporte également des mesures en faveur notamment du développement de projets éoliens en mer, concerne de nombreux acteurs bien au-delà du secteur de l’énergie, et devrait être encore modifié au cours des débats législatifs. Le projet devrait être discuté fin octobre au Sénat, après une concertation annoncée par le Gouvernement, et devrait être adopté au tout début de l’année 2023.