Créée par la loi de sécurité financière du 1er août 2003[1], l’Autorité des marchés financiers (AMF) s’est installée au 17, place de la Bourse - qui était alors le siège de l’un de ses ancêtres, la Commission des Opérations de Bourse (COB) - le 24 novembre de la même année. Elle a donc fêté à l’automne dernier ses 20 ans.
Cet anniversaire a été l’occasion pour l’autorité elle-même et pour ceux qui évoluent dans son écosystème - établissements régulés, investisseurs, professeurs de droit ou encore avocats - de jeter un regard sur les années écoulées mais aussi de se projeter vers l’avenir.
En deux décennies, l’AMF s’est emparée de bien des sujets, définissant ses priorités de supervision au gré des évolutions des marchés et des crises qu’a connues le secteur, et elle les a abordés avec toute la palette de ses outils - et même de nouveaux outils[2] - depuis la définition ou la précision des normes et la supervision des acteurs jusqu’à leur éventuelle sanction.
L’exercice du bilan impose de faire des choix et c’est plus particulièrement sur l’activité répressive du régulateur à l’égard des établissements régulés que porteront les quelques réflexions qui suivent.
Si l’AMF semble avoir aujourd’hui démontré sa capacité à sanctionner, souvent sévèrement et relativement rapidement, il est un domaine dans lequel le régulateur n’a pas encore atteint le stade de la répression, que ce soit sous forme de décision de sanction ou de composition administrative : celui de la finance durable. Cela semble néanmoins imminent.
Ouvrant le bal des festivités, le Colloque de la Commission des sanctions qui s’est tenu le 12 octobre 2023 à la Maison de l’Océan a consacré sa première table ronde au bilan de l’action répressive de l’AMF sur les deux dernières décennies et aux perspectives de la Commission des sanctions pour les dix prochaines années.
Par la voix des représentants de la direction des affaires juridiques qui assiste le Collège, organe de poursuite, et de la Commission des sanctions, l’AMF a évoqué au premier rang des marqueurs de l’efficacité de la répression (i) le montant des sanctions et (ii) la durée des procédures.
S’agissant plus particulièrement des établissements régulés, pour reprendre les statistiques publiées par l’Autorité européenne des marchés financiers (European Securities and Market Authority, ESMA), l’AMF a prononcé entre 2016 et 2022, en valeur, 94% des sanctions pécuniaires fondées sur la Directive OPCVM[3] avec plus de 174 millions d’euros, et ce alors qu’en 2022 les OPCVM domiciliés en France ne représentaient que 8% des encours des OPCVM domiciliés dans l’EEE[4].
Et le montant des sanctions est croissant. Le Président de la Commission des sanctions évoquait lors du Colloque du 12 octobre 2023, un total de 126 millions d’euros de sanctions pécuniaires prononcées au cours des douze derniers mois, soulignant une inflation particulière sur cette période[5].
En matière de contrôle, il vise ainsi : une durée de six mois pour les contrôles dit « classiques » et de quatre mois pour les contrôles « SPOT »[6].
Une étude réalisée en 2022 par l’AMF et l’institut BVA auprès de sociétés de gestion et de prestataires de services d’investissement révélait d’ailleurs que 52% des établissements ayant déjà fait l’objet d’un contrôle estimaient que les délais de conduite des travaux étaient raisonnables (22% ne se prononçant pas), ce chiffre étant de 42% pour les établissements n’ayant jamais été contrôlés[7].
Pour la procédure devant la Commission des sanctions, l’AMF avait également annoncé à la fin de l’année 2021 avoir dépassé certains de ses objectifs en réduisant à moins de dix mois la durée de l’instruction des dossiers entre la notification de griefs et le rapport du rapporteur qui intervient peu avant la séance publique[8].
Le bilan de l’action répressive de l’AMF ne rend en définitive pas infondée la crainte qu’inspire le régulateur chez les sociétés de gestion et les PSI qui ont été 83% à l’exprimer lors de l’étude réalisée en 2022[9].
A l’occasion des Entretiens de l’AMF consacrés aux 20 ans de l’Autorité, deuxième acte des célébrations organisé dans les locaux du Ministère de l’économie le 23 novembre 2023, une table ronde a été consacrée aux attentes de la société civile à l’égard du régulateur financier.
Lors de celle-ci, la finance durable et les risques de greenwashing ont été au cœur des débats, les intervenants exprimant des attentes très fortes à l’égard de l’AMF sur ces problématiques.
En substance, (i) les établissements régulés attendent de l’AMF qu’elle les aide à naviguer dans un environnement normatif nouveau et complexe (ii) tandis que d’autres acteurs estiment que le régulateur, qui a reçu en 2019 la mission spécifique de « veiller à la qualité de l’information fournie par les sociétés de gestion sur leur stratégie d’investissement et leur gestion des risques liés aux effets du changement climatique »[10], tarde à sanctionner en la matière.
Ces attentes apparaissent difficilement conciliables immédiatement : le temps de la pédagogie et de l’accompagnement des acteurs dans la mise en œuvre des changements normatifs doit précéder celui de la répression.
De fait, la règlementation en matière de finance durable est très récente. Si les premières normes ont été adoptées au niveau européen en 2014 avec la Directive NFRD[11] et en droit français en 2015 et 2016 avec la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte[12] puis la création du label ISR, l’essentiel de l’édifice normatif en la matière a été adopté au cours des cinq dernières années avec une entrée en vigueur qui n’est toujours pas achevée. On peut notamment mentionner le règlement SFDR[13] entré en vigueur en 2021 et son règlement délégué entré en vigueur en 2023[14], le Règlement Taxonomie[15] entré en vigueur en 2022 et 2023 ou encore la directive CSRD[16] qui entre en vigueur en ce début d’année 2024 et qui est déjà qualifiée de révolution par la Présidente de l’AMF[17].
Dans ce contexte, l’AMF estime mener « auprès des acteurs financiers un important travail de pédagogie, de clarification et d’information sur les règles applicables »[18]. Lorsqu’elle a fait de la finance durable l’une de ses priorités clés en 2018, l’AMF avait d’ailleurs adopté une feuille de route dédiée qui mettait en avant son rôle d’accompagnement. Cela passait notamment par la définition de bonnes et de mauvaises pratiques.
Dans cette logique, elle a consacré en 2018 l’une de ses premières missions de contrôles « SPOT » aux dispositifs de gestion ISR des sociétés de gestion et à l’intégration des critères ESG. Elle a également publié en mars 2020 sa première doctrine en matière d’information des investisseurs pour les fonds intégrant des critères extra-financiers.
En 2022, elle a conduit une nouvelle vague de contrôles « SPOT » relative au respect des engagements extra-financiers contractuels des sociétés de gestion dont la synthèse a été publiée en juin 2023.
Ce sont notamment ces travaux qui ont fait dire à la Présidente de l’AMF : « nous rendons […] publiques nos attentes, ce qui signifie que nous ne prenons personne en traître, mais aussi que le radar est annoncé sur le bord de la route, et que les gendarmes ne sont pas loin »[19].
Les premières décisions en la matière ne devraient donc plus tarder.
Il conviendra d’observer avec quelle sévérité la répression s’exercera dans un environnement normatif toujours en construction[20] et comment le besoin de prévisibilité des normes et d’accompagnement des acteurs dans le changement sera concilié avec la volonté de l’AMF de se montrer exigeante dans la lutte contre le greenwashing.
[1] Loi n° 2003-706 du 1er aout 2003 de sécurité financière.
[2] On peut penser à la composition administrative ou aux contrôles SPOT par exemple.
[3] Directive 2009/65/CE du 13 juillet 2009 portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant certains organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM).
[4] ESMA, Report « Penalties and measures imposed under the UCITS Directive in 2022 » 18 juillet 2023.
[5] Discours d'introduction de Jean Gaeremynck, président de la Commission des sanctions - 16e colloque de la Commission des sanctions de l'AMF, Jeudi 12 octobre 2023
[6] Supervision des pratiques opérationnelles et thématiques.
[7] Rapport Annuel AMF 2022.
[8] Rapport Annuel AMF 2021.
[9] Rapport Annuel AMF 2022.
[10] Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises dite « PACTE »
[11] Directive 2014/95/EU dite NFRD (Non-Financial Reporting Directive).
[12] LOI n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.
[13] Règlement (UE) 2019/2088 du 27 novembre 2019 sur la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers dit SFDR « Sustainable finance Disclosure Regulation ».
[14] Règlement délégué (UE) 2022/1288 du 6 avril 2022 complétant le règlement (UE) 2019/2088 du Parlement européen et du conseil par des normes techniques de réglementation.
[15] Règlement (UE) 2020/852 du 18 juin 2020 sur l’établissement d’un cadre visant à favoriser les investissements durables et modifiant le Règlement (UE) 2019/2088.
[16] Directive (UE) 2022/2464 du Parlement européen et du Conseil du 14 décembre 2022 modifiant le règlement (UE) no 537/2014 et les directives 2004/109/CE, 2006/43/CE et 2013/34/UE en ce qui concerne la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises.
[17] Discours de clôture de Marie-Anne Barbat-Layani, présidente de l'AMF - Les 20 ans de l’Autorité des marchés financiers - Jeudi 23 novembre 2023.
[18]Idem.
[19]Idem.
[20] La proposition de Règlement du Parlement européen et du Conseil sur la transparence et l'intégrité des activités de notation environnementale, sociale et de gouvernance est par exemple toujours en discussion.