17 décembre 2020
Alerte Client | UE | France | Concurrence & Commerce International
L'Autorité de la concurrence ("Autorité") revient sur sa pratique décisionnelle, à la suite d'un arrêt de la Cour de Justice de l'Union européenne ("CJUE") du 17 mai 2018, et considère pour la première fois, dans une décision datée du 25 novembre 2020, que les réponses aux appels d'offres émanant de filiales d'un même groupe ne sont pas soumises à la prohibition des ententes résultant des articles 101 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) et L. 420-1 du code de commerce.
Préalablement à l'arrêt de la CJUE, l'Autorité de la concurrence[1], suivie par la Cour d'appel de Paris[2], considérait de manière constante que lorsque des sociétés d'un même groupe présentent des offres distinctes (et donc concurrentes) à un même appel d'offres, elles auraient manifesté une "autonomie commerciale" et ne pourront échapper à la qualification d'une entente anticoncurrentielle que si elles peuvent justifier d'une "indépendance totale"[3] dans l'élaboration de leurs offres.
Or, en principe, les articles 101 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce n'ont pas vocation à s'appliquer à des accords intra-groupes dès lors que les sociétés mises en causes ne constituent qu'une seule et même "entreprise" au sens du droit européen de la concurrence. Pour cette raison, la pratique de l'Autorité paraissait contraire au droit européen de la concurrence et aurait dû en principe être écartée par l'Autorité en application de l'article 3 du règlement n° 1/2003 concernant la mise en conformité des droits nationaux avec le droit européen de la concurrence, du moins lorsque la pratique affectait le commerce entre Etats membres.
L'Autorité justifiait jusqu'alors cette position par le fait que les juridictions européennes n'avaient "jamais eu à connaître de pratiques mises en œuvre par des entreprises liées entre elles ayant pour objet ou pour effet de fausser la procédure d’appel d’offres en présentant des offres séparées dont l’indépendance n’était qu’apparente"[4].
Dans un arrêt du 17 mai 2018[5], la CJUE a jugé pour la première fois que les pratiques consistant, pour des sociétés appartenant à un même groupe, à soumettre de façon coordonnée des offres distinctes et en apparence indépendantes en réponse à un appel d’offres ne tombaient pas sous le coup de l'interdiction des ententes :
"Pour ce qui est de l’article 101 TFUE, il convient de rappeler que cet article ne s’applique pas lorsque les accords ou pratiques qu’il proscrit sont mis en œuvre par des entreprises formant une unité économique (voir, en ce sens, arrêts du 4 mai 1988, Bodson, 30/87, EU:C:1988:225, point 19, et du 11 avril 1989, Saeed Flugreisen et Silver Line Reisebüro, 66/86, EU:C:1989:140, point 35). Il appartient toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier si les soumissionnaires A et B forment une unité économique.
Au cas où les sociétés concernées ne formeraient pas une unité économique, la société mère n’exerçant pas d’influence déterminante sur ses filiales, il y a lieu de relever que, en toute hypothèse, le principe d’égalité de traitement prévu à l’article 2 de la directive 2004/18 serait violé s’il était admis que les soumissionnaires liés puissent présenter des offres coordonnées ou concertées, à savoir non autonomes ni indépendantes, qui seraient susceptibles de leur procurer ainsi des avantages injustifiés au regard des autres soumissionnaires, sans qu’il soit nécessaire d’examiner si la présentation de telles offres constitue aussi un comportement contraire à l’article 101 TFUE.
Par conséquent, pour répondre aux troisième à cinquième questions, il n’est pas nécessaire d’appliquer et d’interpréter l’article 101 TFUE dans la présente affaire".
Dans une décision de non-lieu rendue le 25 novembre 2020[6], l'Autorité de la concurrence prend acte de "cette nouvelle jurisprudence" de la CJUE, ce qui la conduit "à reconsidérer sa pratique décisionnelle relative à l'application de la prohibition des ententes aux soumissions concertées des sociétés filiales d'un même groupe à des appels d'offres".
En l'espèce, en l'absence d'éléments permettant de caractériser l'autonomie des filiales ayant répondu à l'appel d'offres individuellement à la suite de concertations, détenues quasiment intégralement par la même société mère, les dispositions des articles 101 du TFUE et L.420-1 du code de commerce ne sont pas applicables. En conséquence, nonobstant la signature de procès-verbaux de transaction, le Collège considère, compte tenu de l'évolution du droit positif, que les conditions pour le prononcé d'une sanction n'étaient plus réunies.
Néanmoins, de telles pratiques pourront être appréhendées par le droit des marchés publics, dans la mesure où elles sont susceptibles de contrevenir au principe d'égalité de traitement prévu respectivement par les articles L3 du code de la commande publique et 2 de la directive 2004/18 relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services.
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[1] Voir, par exemple, Autorité de la concurrence, décision n° 18-D-02 du 19 février 2018 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des travaux d'entretien d'espaces verts en Martinique, point 19.
[2] CA Paris, 4 juillet 1994, sociétés SCREG Est et autres ; CA Paris, 18 novembre 2003, Signaux Laporte ; CA Paris, arrêt du 28 octobre 2010, Maquet.
[3] Conseil de la concurrence, décision n° 06-D-26 du 15 septembre 2006 relative à la saisine des sociétés Lamy Moto et Moto Ouest à l’encontre des sociétés Yamaha Motor France et MBK, point 43.
[4] Autorité de la concurrence, décision n° 10-D-04 du 26 janvier 2010 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des tables d’opération, point. 135.
[5] CJUE, affaire C-531/16, 17 mai 2018, Ecoservice projektai UAB, points 27 et suivants.
[6] Autorité de la concurrence, décision n° 20-D-19 du 25 novembre 2020 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des marchés de fourniture de produits alimentaires de l'établissement public national France AgriMer, points 57 et suivants.
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