Les apports du guide pratique de l’Agence Française Anticorruption sur les « vérifications anticorruption dans le cadre des fusions-acquisitions » publié le 17 janvier 2020
A l’heure où la compliance devient un véritable enjeu stratégique dans les opérations de croissance externe, l’Agence Française Anticorruption (« AFA ») vient de publier la version définitive de son Guide pratique sur « les vérifications anticorruption dans le cadre des fusions-acquisitions ».
Il convient de saluer non seulement cette initiative, mais surtout, le fait que l’AFA ait tenu compte des critiques des professionnels qui reprochaient aux recommandations initiales leur manque de réalisme au vu des contraintes opérationnelles. En effet, cette nouvelle version du Guide est plus adaptée à la réalité des opérations de fusion-acquisition.
SUR LES ENJEUX JURIDIQUES ET FINANCIERS LIÉS AUX VERIFICATIONS ANTICORRUPTION
L’AFA, qui a été créée par la loi Sapin II du 9 décembre 2016, est un service à compétence nationale qui n’a pas de pouvoir judiciaire. Elle est en charge d’aider les entreprises à prévenir et à lutter contre les atteintes à la probité, mais surtout, de contrôler que les entités assujetties respectent les obligations qui leur incombent en application de l’article 17 de la loi Sapin II, et le cas échéant, de les sanctionner.
L’AFA rappelle que la loi Sapin II n’impose pas « l’évaluation d’une société dont l’acquisition ou la fusion est envisagée » et que ses recommandations ne sont pas juridiquement contraignantes.
Elle souligne que ces vérifications peuvent influer sur le prix d’acquisition compte tenu des conséquences que pourraient entraîner, pour l’acquéreur, l’acquisition ou la fusion d’une société ayant commis des actes de corruption.
En effet, si une opération de fusion ou d’absorption fait disparaître la responsabilité pénale de la société cible absorbée ou fusionnée, la société absorbante ou issue de la fusion demeura responsable administrativement et civilement des actes commis par la société cible absorbée ou fusionnée. En outre, l’acquéreur s’expose à un risque réputationnel important.
SUR LA NATURE DES VÉRIFICATIONS À OPÉRER AUX DIFFÉRENTS STADES DE L’OPÉRATION
L’AFA détaille chronologiquement les vérifications qu’il convient d’effectuer aux différents stades de l’opération, sous le contrôle du responsable des vérifications anticorruption désigné par l’acquéreur.
L’AFA reconnait que les mesures doivent être adaptées et proportionnées aux enjeux de l’opération ainsi qu’au degré d’exposition de la cible au risque de corruption. Elle précise que chaque entreprise peut définir sa propre procédure de vérification.
Pendant la période pré-acquisition, soit avant le « signing »
L’AFA reconnait que la possibilité d’effectuer des vérifications puisse être restreinte en raison de la réticence du vendeur à communiquer certaines informations sensibles à l’acquéreur potentiel alors que l’opération n’est pas certaine.
L’AFA recommande toutefois, de solliciter la communication de documents ou d’effectuer les recherches nécessaires permettant notamment de :
- comprendre l’historique et les activités de la cible ;
- connaître sa structure actionnariale, ses principaux dirigeants et ses bénéficiaires effectifs ;
- déterminer ses éventuels liens avec des personnes politiquement exposées et le degré de ses interactions avec des agents publics ;
- avoir une connaissance des principaux éléments du dispositif anticorruption de la cible (par exemple, existence d’un code de conduite et d’une politique anticorruption, d’une cartographie des risques de corruption, etc.) ;
- le cas échéant et sous réserve de la disponibilité de l’information, identifier les affaires de corruption dans lesquelles elle pourrait être impliquée (procédures judiciaires en cours) ;
- vérifier l’existence de sanctions prononcées contre la cible par une autorité française / étrangère, ou de procédures en cours (ex : CJIP, DPA en cours).
Pendant l’opération, c’est-à-dire entre le « signing » et le « closing »
Au cours de cette seconde phase de l’opération, l’AFA recommande d’approfondir l’analyse de la cible en obtenant des informations complémentaires relatives :
- aux tiers les plus à risque (clients, fournisseurs et intermédiaires) au regard de la cartographie des risques de corruption ;
- aux contrôles comptables, notamment ceux portant sur les opérations à risque, les cadeaux et invitations, les activités de mécénat et de sponsoring ;
- à l’efficacité du dispositif d’alerte interne (ex : le traitement qui a été fait des dernières alertes portant sur des soupçons de corruption).
Ces vérifications complémentaires ont pour but de s’assurer que le dispositif anticorruption de la société acquéreuse / absorbante puisse être plus facilement appliqué à la société cible.
Après la finalisation de l’opération
Si l’AFA préconise de terminer les vérifications anticorruption avant le terme de l’opération de fusion-acquisition, elle recommande de réaliser un audit après la finalisation de l’opération, ayant notamment pour objectifs d’effectuer :
- une revue de la cartographie des risques de corruption et de trafic d’influence ;
- la vérification, au moyen de tests comptables et financiers, d’un échantillon de transactions identifiées sur la base de la cartographie des risques de corruption de la cible ;
- l’analyse des alertes reçues et leur traitement par la cible ;
- l’examen des dispositifs de prévention mis en œuvre s’agissant des tiers considérés à risque (processus de sélection, revues des appels d’offres et des contrats, analyse des paiements effectués, etc.).
A l’issue de l’opération, la société acquéreuse devra étendre son dispositif anticorruption à la cible. Pour rappel, une société cible qui ne serait pas originellement soumise à la loi Sapin II, peut le devenir en raison de l’opération de fusion-acquisition.
En outre, l’AFA incite les entreprises qui détectent des soupçons de corruption lors de ces vérifications à procéder à une enquête interne approfondie afin de pouvoir, le cas échéant, conclure une Convention Judiciaire d’Intérêt Public (« CJIP ») pour éviter une condamnation sur le fondement d’actes commis par la société cible. Sur ce sujet, voir SCEMLA Sophie, Les lignes directrices du PRF et de l’AFA sur la mise en œuvre de la convention judiciaire d’intérêt public en matière de corruption, Revue Internationale de la compliance et de l’éthique des affaires, août 2019, n°4, p. 44.