Analyses & décryptages

Nouveau régime juridique de l’action de groupe et transposition en France de la directive (UE) 2020/1828 relative aux actions représentatives

À l’occasion de la transposition de la directive (UE) 2020/1828 relative aux actions représentatives[1], une réforme ambitieuse du régime juridique de l’action de groupe avait initialement été envisagée dans une proposition de loi portée en 2023 par Madame Laurence Vichnievsky et Monsieur Philippe Gosselin, auteurs d’un rapport d’information sur le bilan et les perspectives des actions de groupe en France[2].

Si cette proposition de loi a été finalement abandonnée, le Gouvernement a pris l’initiative d’un projet de loi dans le but premier de transposer enfin les dispositions de la directive précitée[3], en particulier celles permettant à des entités habilitées d’initier des actions de groupes transfrontalières en France, en cas d’infraction à un certain nombre de textes de droit de l’Union limitativement énumérés et relevant, pour l’essentiel, du droit de la consommation.

La réforme juridique de l’action de groupe trouve donc sa place aujourd’hui dans un projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne.

Dans le cadre des travaux parlementaires, l’Assemblée nationale et le Sénat ont trouvé un compromis les 2 et 3 avril 2025. Au-delà d’une simple transposition, le texte de loi voté par la Commission mixte paritaire reprend en définitive de nombreuses dispositions de la proposition de loi initiale et en adapte d’autres.

En substance, le texte adopté institue un régime juridique de droit commun de l’action de groupe qui se substitue à l’approche sectorielle qui prévalait antérieurement

La loi prévoit ainsi qu’ « une action de groupe est exercée en justice par [une association agréée] pour le compte de plusieurs personnes physiques ou morales, placées dans une situation similaire, résultant d’un même manquement ou d’un manquement de même nature à ses obligations légales ou contractuelles commis par une personne agissant dans l’exercice ou à l’occasion de son activité professionnelle, par une personne morale de droit public ou par un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public. »

Ce nouveau régime élargit le champ des préjudices indemnisables à tous types de préjudices, « quelle qu’en soit la nature », et généralise la double finalité de l’action de groupe, qui peut avoir pour objet la réparation des préjudices subis ou la cessation d’un manquement (ou les deux à la fois).

Le texte adopté réserve la possibilité d’intenter une action de groupe aux associations (ou organisations syndicales selon le cas) bénéficiant d’un agrément reçu d’une autorité administrative selon certaines conditions qui ont vocation à être précisées par décret. Une exception est néanmoins prévue pour les actions tendant exclusivement à la cessation d’un manquement qui pourront être intentée par toute association à but non-lucratif légalement déclarée depuis deux ans, exerçant une activité effective et publique et dont l’objet statutaire comporte la défense des intérêts auxquels il a été porté atteinte.

La loi encadre le financement des actions de groupe par les tiers en énonçant que, si les entités habilitées à intenter une action de groupe « peuvent recevoir des fonds de tiers », ce financement doit être transparent et ne peut avoir « ni pour objet ni pour effet l’exercice par ces tiers d’une influence sur l’introduction ou la conduite d’actions de groupe susceptible de porter atteinte à l’intérêt de personnes représentées ».

Sur le plan procédural, la loi adoptée reprend pour l’essentiel le socle hérité de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation (loi dite « Hamon ») : il est statué dans un premier temps sur le principe de la responsabilité du défendeur avant de délimiter, le cas échéant, le périmètre des personnes pouvant prétendre à une indemnisation. Le juge  ordonne ensuite la publicité de la décision rendue pour inviter les personnes éligibles à une indemnisation à se joindre au groupe préalablement délimité, dans un délai qui peut aller de deux mois à cinq ans.

Le législateur préserve donc le mécanisme de l’ « opt-in », par lequel le régime de l’action de groupe se distingue notamment  des procédures de « class actions » américaines dans lesquelles  l’ «opt out» prévaut.

Quelques évolutions procédurales notables sont à mentionner :

  • La suppression de l’obligation de mise en demeure préalable qui incombait jusque-là au demandeur à l’action de groupe, à peine d’irrecevabilité, dans la quasi-totalité des régimes spéciaux ;
  • La possibilité pour le ministère public d’agir en cessation du manquement en qualité de partie principale ;
  • La possibilité pour le juge de la mise en état de prendre des mesures provisoires utiles pour faire cesser le manquement allégué en cas de dommage imminent ou de trouble manifestement illicite ;
  • La généralisation à toutes matières de la possibilité d’introduire directement une action de groupe à l’encontre de l’assureur du responsable ;
  • L’instauration d’une compétence d’attribution au profit de certains tribunaux judiciaires pour connaître des actions de groupe en toute matière ;
  • La création d’un registre national des actions de groupe auprès du ministère de la Justice.

Le législateur a également entendu sanctionner la faute lucrative en insérant, dans le code civil, un nouvel article permettant au juge civil ou administratif d’infliger une amende civile (non assurable) aux professionnels auteurs d’une faute dolosive ayant causé un dommage sériel.

Cette amende civile peut être demandée dans toute procédure, à l’initiative du ministère public devant les juridictions judiciaires, ou du Gouvernement devant les juridictions administratives. Le montant de l’amende civile peut atteindre le double du profit réalisé pour une personne physique et le quintuple de ce même profit pour une personne morale.

Le nouveau régime juridique de l’action de groupe s’applique à toute action intentée après la publication de la loi (à intervenir[4]), à l’exception des dispositions relatives à l’amende civile, qui sont applicables aux seules actions dont le fait générateur de la responsabilité du défendeur est postérieur à la publication de la loi.

Le législateur a également prévu un régime transitoire : d’une part, le régime antérieur demeure applicable aux actions introduites avant la publication du texte et, d’autre part, les personnes qui, au jour de l’entrée en vigueur, satisfont aux conditions pour introduire une action de groupe « conservent cette faculté pendant un délai de deux ans à compter de cette date ».


[1]  Directive (UE) 2020/1828 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2020 relative aux actions représentatives visant à protéger les intérêts collectifs des consommateurs et abrogeant la directive 2009/22/CE.
[2]  Pour mémoire, une présentation synthétique de cette proposition de loi avait été publiée par le cabinet en mai 2023 (lien).
[3]  Le délai prévu pour transposer la directive expirait le 25 décembre 2022 et la Commission européenne avait adressé, en 2023, une mise en demeure au Gouvernement français ainsi qu’à une vingtaine d’autres États membres.
[4]  Le Conseil constitutionnel a été saisi le 8 avril 2025 par soixante députés afin d’examiner la conformité à la Constitution des dispositions de l’article 25 de la loi concernant la protection des espèces protégées dans le cadre de projets de production d’énergies. Les dispositions relatives à l’action de groupe figurent donc pas dans le périmètre de la saisine. Le Conseil constitutionnel dispose d’un délai d’un mois pour statuer sur la conformité des dispositions déférées (article 61 de la Constitution).