Les nouvelles lignes directrices du DoJ sur le FCPA augmentent les risques de poursuites contre les entreprises étrangères dont les activités porteraient atteinte aux intérêts américains
Dans son Executive Order du 10 février 2025[1], le Président Trump avait ordonné la suspension pour une durée de 180 jours de l’application du Foreign Corrupt Practices Act (FCPA), loi extraterritoriale qui sanctionne la corruption internationale, considérant que l’application « excessive et imprévisible » de cette loi portait atteinte à la compétitivité économique des États-Unis.
Les nouvelles lignes directrices[2] publiées le 9 juin 2025 par le Department of Justice américain (DoJ) marquent la fin de cette suspension et exposent les modalités selon lesquelles le FCPA est de nouveau applicable (2.). Elles s’inscrivent dans la continuité du mémorandum « Focus, Fairness, and Efficiency in the Fight Against White-Collar Crime » publié par le DoJ le 12 mai 2025[3], définissant la nouvelle politique pénale américaine en matière de criminalité économique (1.).
La politique pénale des États-Unis est officiellement orientée vers la défense des intérêts économiques et stratégiques américains conformément à la devise « America First » de l’administration Trump. Dans ce contexte, les entreprises étrangères doivent anticiper un risque accru de poursuites par les autorités américaines, si leurs activités étaient considérées comme portant atteinte aux intérêts américains (3.).
1. Une politique pénale recentrée sur les intérêts stratégiques américains
Le 12 mai 2025, Matthew Galeotti, chef de la division criminelle du DoJ, a publié un mémorandum intitulé « Focus, Fairness, and Efficiency in the Fight Against White-Collar Crime » fixant les nouveaux axes de priorité en matière de poursuites économiques et financières dans le cadre du « White Collar Enforcement Plan ».
Cette nouvelle politique pénale repose sur trois objectifs majeurs :
- Accélérer les enquêtes et mieux allouer les ressources vers les affaires ayant une valeur stratégique ou symbolique. À cet égard, le DoJ identifie dix domaines prioritaires de poursuite, incluant la corruption, les crimes économiques et numériques, les fraudes douanières, ainsi que les menaces à la sécurité nationale (« Focus» et « Efficiency ») ;
- Favoriser l’autodénonciation et la coopération volontaire des entreprises, en prévoyant jusqu’à 75 % de réduction d’amende pour les sociétés qui se dénonceraient spontanément et coopèreraient pleinement avec les autorités de poursuite (« Fairness») ;
- Renforcer l’attractivité des dispositifs d’alerte, à travers des mesures de simplification des démarches pour émettre une alerte, la possibilité d’un signalement anonyme et de meilleures compensations financières offertes aux lanceurs d’alerte.
2. La publication de nouvelles lignes directrices d’application du FCPA
Le 9 juin 2025, les nouvelles « Guidelines for Investigations and Enforcement of the Foreign Corrupt Practices Act » publiées par le DoJ ont officiellement mis fin à la suspension temporaire de l’application de ce texte ordonnée par l’Executive Order du 10 février 2025. Elles fixent une stratégie d’application du FCPA plus ciblée, alignée sur la protection des intérêts stratégiques des États-Unis.
Dans ce cadre, il incombera aux procureurs fédéraux de :
- Limiter les « abus » dans l’application du FCPA, en particulier à l’encontre des entreprises américaines opérant à l’étranger ;
- Focaliser les poursuites sur des affaires à fort enjeu stratégique, notamment celles présentant un risque sérieux pour la sécurité nationale ou la compétitivité économique américaine ;
- Réduire la charge réglementaire sur les entreprises américaines à l’étranger, en écartant les affaires déjà en cours ou nouvelles qui seraient jugées de faible gravité.
Désormais, les nouvelles procédures initiées sur le fondement du FCPA devront cibler en priorité les faits portant gravement atteinte aux intérêts des États-Unis, notamment ceux :
- En lien direct avec les activités des cartels et organisations criminelles transnationales (TCOs), incluant également les faits de blanchiment par des sociétés-écrans, ou encore la corruption de fonctionnaires étrangers en lien avec ces groupes ;
- Portant un préjudice économique à des entreprises américaines (entraînant une distorsion de concurrence au détriment des entreprises américaines qui perdraient des marchés/contrats ou par un dommage économique direct à une entité américaine) ;
- Compromettant la sécurité nationale américaine, en particulier dans les secteurs stratégiques (infrastructures critiques, ressources, défense, renseignement, énergie) ;
- D’une gravité suffisante (montants substantiels et intention frauduleuse manifeste). Les pratiques courantes ou tolérées localement (ex. paiements de facilitation licites dans le pays concerné) ne feront en revanche plus partie des priorités du DoJ.
Le DoJ a par ailleurs indiqué qu’il continuera à sanctionner en priorité les personnes physiques plutôt que les entreprises.
De plus :
- Le DoJ indique qu’il tiendra compte de la capacité et de la volonté des autorités étrangères à poursuivre les faits allégués, ce qui pourrait conduire à un renoncement à engager des poursuites aux États-Unis lorsque les intérêts américains ne sont pas directement en cause. Toutefois, le principe non bis in idem ne s’appliquant pas en matière de corruption internationale, il existe un risque non négligeable de multiplication de procédures connexes dans différentes juridictions, particulièrement dans le contexte géopolitique actuel ;
- Toute nouvelle enquête ou poursuite ouverte sur le fondement du FCPA devra être approuvée par le Criminal Division Assistant Attorney General, témoignant de la volonté d’instaurer un contrôle politique renforcé sur les choix d’application de cette loi ; et
- L’ensemble des affaires en cours devront être réexaminées à l’aune de ces nouvelles lignes directrices.
3. Un risque potentiellement accru de poursuites pour les sociétés étrangères
Cette évolution du cadre répressif américain pourrait entraîner une application plus ciblée du FCPA à l’encontre des entreprises étrangères.
En effet, le recentrage de la politique pénale du DoJ en faveur de la défense des intérêts économiques américains accroît le risque d’application du FCPA aux sociétés étrangères, en particulier celles qui sont en concurrence directe avec des entreprises américaines, qui opèrent dans des secteurs stratégiques (défense, renseignement, énergie) ou ayant des activités dans des juridictions « à risque », notamment en raison de la présence de TCOs ou cartels, ou hostiles aux intérêts stratégiques des États-Unis.
Il existe, en outre, un risque croissant d’instrumentalisation des lois extraterritoriales américaines à des fins de concurrence économique ou de captation d’informations. En effet, les procédures de discovery permettent aux autorités américaines d’obtenir des informations sensibles sur la stratégie, les contrats ou les opérations d’acteurs étrangers.
En réaction, les autorités judiciaires européennes pourraient renforcer leur propre arsenal. Le 20 mars 2025, le Parquet National Financier (PNF), le Serious Fraud Office (SFO) britannique et le Ministère public de la Confédération helvétique ont signé une déclaration instituant un Groupe d’Action International des Procureurs Anticorruption. Cette instance vise à renforcer la coopération opérationnelle entre ces autorités, notamment par le partage d’informations dans les affaires individuelles et l’élaboration d’une stratégie anticorruption concertée à l’échelle internationale.
Conclusion
Confrontées à cette application ciblée du FCPA et à une politique pénale visant à favoriser les intérêts américains, les sociétés étrangères opérant aux États-Unis devront faire preuve d’une grande vigilance en matière de lutte contre la corruption, renforcer leurs programmes de conformité, être particulièrement diligentes lors du traitement des alertes internes et anticiper les risques de contentieux transnationaux.