Le projet eDirham, de l’opportunité pour une banque centrale d’entrer dans une nouvelle ère de paiement
Il y a quatre ans, à l’occasion de la publication de son Rapport économique annuel de 2021, la Banque des règlements internationaux (BRI) déclarait que « les monnaies digitales de banque centrale (MDBC) ouvraient un nouveau chapitre pour le système monétaire ».
La même année, dans son rapport sur les CBDC de novembre 2021, la Banque mondiale évoquait également l’importance du sujet en examinant notamment le calendrier avec lequel les banques centrales devaient envisager une telle innovation et les conditions juridiques pour la mettre en œuvre.
La Banque mondiale appelait ainsi à la nécessité pour chaque banque centrale susceptible d’émettre sa monnaie digitale, de définir le moment opportun pour sa mise en œuvre, dès lors que des conditions suffisantes techniques, juridiques, et économiques seraient réunies. Parmi elles, la mise en place d’infrastructures nécessaires comprenant des systèmes nationaux de technologies de communication et d’identification, et d’un réseau étendu de prestataires de services de paiement, apparaissaient alors indispensable et préalable à toute initiative.
L’introduction d’une MDBC nécessite également dans la plupart des cas une modification de la législation locale, étant précisé que la nécessité d’ajustements juridiques pourraient varier en fonction de caractéristiques technologiques de chaque MDBC et de l’ordre juridique existant dans la juridiction concernée.
D’autres questions de nature juridique, plus générales, doivent également être considérées. Chaque banque centrale envisageant l’ émission d’une MDBC devra tout d’abord être autorisée et avoir le pouvoir de l’émettre, ce qui ne devrait pas être la barrière la plus importante, sauf si la législation applicable prévoit expressément l’existence unique de monnaie fiduciaire. La banque centrale doit ainsi pouvoir émettre de la monnaie sous forme numérique, sans que cela n’entre en conflit avec ses objectifs, ses missions et ses attributions statutaires. Sur la plan de la sécurité et de l’efficacité des systèmes de paiement, il convient également qu’elle soit légale pour circuler dans les systèmes de règlement et qu’elle puisse être utilisée comme moyen de paiement. La mise en place d’une MDBC doit ainsi prouver son utilité marginale, et contribuer à un système de paiement sûr et efficace. D’autres problématiques se dressent notamment en matière de monnaie électronique dont la réglementation pourra ou non s’appliquer à la MDBC émise, sans pour autant créer de confusion entre les deux différentes formes de monnaies. Les enjeux en matière de protection des données doivent aussi être anticipés, particulièrement lorsque la MDBC est mise à la disposition du grand public. Ce ne sera qu’une fois ces contraintes juridiques traitées que la MDBC pourra alors être considérée comme ayant cours légal dans l’ordre juridique du pays.
Depuis les premiers travaux de la BRI, du FMI et de la Banque mondiale sur le sujet, la quasi-totalité des institutions supranationales du secteur bancaire et financier se sont depuis attachées à identifier les enjeux et opportunités relatifs à l’introduction de MDBC dans le système monétaire international.
L’intérêt et les inquiétudes autour des MDBC n’ont ainsi, depuis cinq ans, cessé de croître au sein des banques centrales, considérant que celles-ci constituent un enjeu de souveraineté monétaire et de passage à une nouvelle ère de paiements où monnaies traditionnelles (sous forme physique ou électronique), monnaies virtuelles, jetons à valeur stables (« stablecoins ») et MDBC devraient co-exister.
Au Maroc, il semble que plusieurs éléments de contexte aient incité Bank Al-Maghrib à investiguer l’émission d’une MDBC. Suite aux recommandations du GAFI (Groupe d’Action Financière internationale), le royaume a d’abord été incité à s’organiser pour légiférer sur les Prestataires de Services sur Crypto Actifs (à l’instar du cadre réglementaire idoine entré en application au sein de l’union européenne, avec le règlement MiCA[1]) afin d’apporter une réponse réglementaire à un phénomène susceptible de prendre de l’ampleur dans les années à venir. D’autre part, les craintes liées au risque de perte de souveraineté monétaire face à l’émergence de stablecoins, notamment adossés au Dirham ou au Dollar américain, ont participé à envisager une réponse institutionnelle émanant de la banque centrale marocaine.
Ainsi, l’émission d’un e-dirham semble désormais être devenue l’une des priorités du Wali de Bank Al-Maghrib, et fait l’objet depuis plusieurs mois de premiers tests techniques, et d’études juridiques et réglementaires. Celui-ci s’est notamment exprimé à l’occasion du séminaire de l’Association des Banques centrales africaines pour l’année 2025, en évoquant des travaux menés sur une MDBC marocaine, avec le concours de la Banque mondiale et du FMI.
Des initiatives portant sur des cas d’usage en matière de paiements entre pairs, et de détail, auraient ainsi été réalisés, et de nouvelles expérimentations avec la Banque centrale d’Egypte seraient également testées pour aborder les impacts et opportunités dans le domaine des transferts transfrontaliers.
Ségrégation des réserves en dirhams, intervention de dépositaires marocains, plafonds d’encours, procédures de contrôles et audits pourraient ainsi venir encadrer le dispositif réglementaire au sein duquel circulerait le e-dirham, à horizon moyen-terme.
Le Maroc pourrait ainsi s’installer comme une juridiction pionnière dans l’adoption d’un instrument de paiement numérique, renforcer sa souveraineté monétaire, économique et réglementaire, et réaffirmer ses objectifs d’inclusion financière au sein du royaume.
Cette ambition, même si encore soumise à des clarifications du cadre juridique dans lequel l’e-dirham pourrait évoluer, et encore limitée en terme d’envergure, pourrait permettre de rebattre les cartes de la balance commerciale en matière de paiements transfrontaliers et de règlements interbancaires, et inscrire ainsi le Maroc comme acteur institutionnel important dans l’émergence d’une nouvelle économie numérique sur le continent africain.
[1] Règlement (UE) 2023/1114 sur les marchés de crypto-actifs