Exequatur d’une sentence arbitrale internationale en France : la Cour d’appel de Versailles du 10 décembre 2024 (n° 23/03647) se prononce pour la prescription quinquennale
Le 10 décembre 2024, la Cour d’appel de Versailles a rendu un arrêt marquant sur la question de la prescription applicable à l’action en exequatur d’une sentence arbitrale internationale : selon la Cour, l’action en exequatur d’une sentence arbitrale internationale se prescrit en cinq (5) ans. Cette décision tranche avec la solution adoptée en matière d’exequatur des jugements étrangers. Elle soulève, en pratique, des interrogations majeures pour les créanciers internationaux, et illustre certaines tensions inhérentes à l’autonomie de l’arbitrage international.
Rappel des faits et du contexte procédural
L’affaire oppose un investisseur italo-américain à la société Citigroup Global Markets Inc., et à l’un de ses dirigeants. Ayant subi une importante perte financière sur un portefeuille confié à Citigroup pendant la crise de 2008, l’investisseur a engagé une procédure arbitrale devant le centre de résolution des différends de la FINRA à New York. Le 30 juillet 2013, une sentence arbitrale lui a accordé plus de 11 millions de dollars.
Toutefois, cette sentence est annulée dès janvier 2014 par les juridictions de l’État de New York, décision d’annulation confirmée en appel en 2015. En 2016, l’investisseur obtient en France une première ordonnance d’exequatur, avant d’y renoncer sous la pression de décisions américaines, incluant une injonction judiciaire, et une menace d’emprisonnement (contempt of court). En novembre 2018, il saisit de nouveau le tribunal judiciaire de Paris pour obtenir l’exequatur de la sentence, ce qui aboutit à une seconde ordonnance favorable. L’affaire, portée en appel puis en cassation, revient devant la Cour d’appel de Versailles, saisie comme juridiction de renvoi.
Devant cette juridiction de renvoi, Citigroup soulève plusieurs fins de non-recevoir : prescription de l’action, renonciation antérieure à l’exequatur, et existence d’une transaction intervenue en 2012.
Par arrêt du 10 décembre 2024, la Cour d’appel de Versailles infirme l’ordonnance d’exequatur de 2018, et déclare irrecevable la demande d’exequatur de l’investisseur, retenant que :
- La prescription de cinq (5) ans prévue à l’article 2224 du Code civil est applicable à l’action en exequatur d’une sentence arbitrale internationale ;
- Le point de départ de cette prescription est la date de la sentence arbitrale (30 juillet 2013) ;
- En application de l’article 2244 du Code civil, le délai de prescription ou le délai de forclusion est interrompu par une mesure conservatoire prise en application du Code des procédures civiles d’exécution ou un acte d’exécution forcée. Toutefois, l’article 2243 du même code prévoit que cette interruption est non avenue si le demandeur se désiste de sa demande, désistement auquel est assimilée la mainlevée.
Par conséquent, la Cour d’appel juge irrecevable la demande d’exequatur introduite en novembre 2018, au-delà du délai de cinq (5) ans, sans entrer dans l’analyse au fond de la régularité de la sentence.
La prescription de l’action en exequatur d’une sentence arbitrale
L’objet central de l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles réside dans la recevabilité de cette seconde demande d’exequatur, présentée plus de cinq (5) ans après le prononcé de la sentence arbitrale. La Cour d’appel de Versailles affirme que cette action est soumise au délai de prescription de droit commun de l’article 2224 du Code civil, soit cinq (5) ans.
Cette position rompt avec celle retenue par la Cour de cassation en matière de jugements étrangers, qui avait affirmé dans son arrêt du 11 janvier 2023 (n° 21-21.168) que l’action en exequatur de ces derniers est imprescriptible, sous réserve que ledit jugement soit encore exécutoire dans son État d’origine. Autrement dit, il s’agit d’une imprescriptibilité relative.
La Cour d’appel de Versailles a refusé de transposer cette solution aux sentences arbitrales, en raison de l’autonomie des sentences arbitrales et de leur indépendance de l’ordre juridique du siège – principe issu de l’arrêt Putrabali (Cass. 1re civ., 29 juin 2007, n°05-18.053).
Toutefois, en se fondant sur cette logique délocalisatrice, la Cour d’appel évacue la possibilité d’un mécanisme équivalent à la prescription « indirecte » applicable aux jugements étrangers. Elle choisit alors d’appliquer la prescription de droit commun, en l’absence de disposition spécifique. Elle ne consacre aucune règle matérielle internationale autonome, ce qui peut être regretté, l’instauration d’une telle règle pouvant mieux protéger l’effectivité de l’arbitrage international.
Conclusion : une solution critiquée et lourde de conséquences pratiques
Cette décision de la Cour d’appel de Versailles soulève de nombreuses réserves. En rendant l’action en exequatur des sentences arbitrales directement prescriptible dans un délai de cinq (5) ans, le droit français introduit une insécurité juridique pour les créanciers. En l’espèce, les mesures judiciaires américaines ont forcé le créancier à différer ses démarches en France, le plaçant dans une situation où la prescription jouait contre lui.
On constate ici un paradoxe : la jurisprudence française, traditionnellement favorable à l’arbitrage international, adopte une solution qui, en pratique, dessert son effectivité. Ce traitement différencié par rapport aux jugements étrangers pourrait fragiliser la cohérence et l’attractivité du droit français dans le champ de l’arbitrage.
Par ailleurs, cette décision pourrait ouvrir la voie à des stratégies de blocage, où la partie condamnée à l’arbitrage pourrait être tentée, comme ici, de lancer des actions dilatoires, dans l’attente que le délai de prescription s’écoule en France.
Reste à voir si la Cour de cassation, saisie à nouveau, viendra confirmer cette solution ou proposera un aménagement plus favorable à la logique transnationale de l’arbitrage.