Analyses & décryptages

Contrôle des investissements étrangers en France – Regard sur l’année et perspectives

Synthèse

  • Malgré un ralentissement mondial, la France reste la première destination des investissements directs étrangers (IDE) en Europe pour la sixième année consécutive, avec une position dominante dans les projets d’investissements étrangers dans les secteurs industriel et de la R&D.
  • Le Rapport annuel 2024 sur le contrôle des investissements étrangers montre une augmentation significative de dépôts de dossiers et une hausse des autorisations assorties de conditions, reflétant un contrôle accru et une approche fondée sur les risques.
  • Les Lignes directrices mises à jour en 2025 apportent des précisions utiles sur les définitions, élargissent le champ d’application du contrôle et introduisent des innovations procédurales, dont la numérisation et une transparence accrue.
  • Les perspectives laissent entrevoir un contrôle accru et des outils améliorés pour protéger la sécurité nationale et économique. Le Parlement recommande d’autres réformes, telles que le contrôle modulaire, l’intervention ex post, l’élargissement de la couverture sectorielle et un renforcement du contrôle parlementaire.
  • Les investisseurs et les praticiens du droit doivent rester vigilants, informés et proactifs pour naviguer dans cet environnement complexe.

 

Au cours d’une année marquée par des tensions géopolitiques accrues et une incertitude économique, la France a conservé sa position de première destination des investissements directs étrangers (IDE) en Europe. Les efforts déployés par le gouvernement pour préserver les intérêts nationaux, en particulier dans les secteurs stratégiques, restent au premier plan de son agenda politique.

Avec la publication simultanée de plusieurs indicateurs clés de l’efficacité du régime d’IDE en France, ainsi que des Lignes directrices actualisées tant attendues, de nombreux conseils et informations utiles méritent d’être portés à l’attention des praticiens, des clients et des investisseurs (et des amateurs d’IDE !).

 

1. Points clés du Rapport annuel 2025 sur le contrôle des investissements étrangers en France

Le Rapport annuel 2025 sur le contrôle des investissements étrangers en France, publié il y a quelques semaines, présente un compte-rendu détaillé de l’activité réglementaire, des tendances sectorielles et de l’évolution du cadre juridique en 2024 :

  • Hausse importante des dépôts de dossiers :

En 2024, la Direction générale du Trésor a compté 392 dépôts de dossiers relatifs à des investissements étrangers, soit une augmentation substantielle par rapport aux 309 dépôts enregistrés en 2023. Cela reflète à la fois la complexité croissante des transactions internationales et l’élargissement du champ d’application du régime français des IDE.

Sur ces quelque 400 dépôts, 327 étaient des demandes d’autorisation tandis que 4 étaient des demandes déposées dans le cadre de la procédure "accélérée" applicable aux sociétés cotées en bourse et 61 étaient des demandes de rescrit.

  • Augmentation des autorisations sous conditions :

Cela a donné lieu à 337 décisions en 2024 (contre 255 en 2023), avec 182 autorisations accordées (contre 135 en 2023), soit 54 % des demandes autorisées.

La proportion d’autorisations soumises à conditions a augmenté pour atteindre 54 % en 2024 (contre 44 % en 2023), ce qui témoigne d’une approche plus nuancée de la part des autorités. Ce niveau est conforme aux niveaux précédents (53 % en 2022).

L’augmentation du nombre d’autorisations conditionnelles reflète une évaluation plus fine des risques, les conditions étant de plus en plus adaptées pour garantir la continuité des activités sensibles, préserver le savoir-faire et maintenir des structures de gouvernance appropriées.

  • Distribution sectorielle :
    • Principales activités sensibles : 26 % des investissements autorisés en 2024 (contre 22 % en 2023) concernaient des secteurs considérés comme sensibles par nature, tels que la défense, les biens à double usage et la cryptologie.
    • Infrastructures, biens ou services essentiels : Cela représentait 37 % des autorisations délivrées en 2024 (contre 43 % en 2023), ce qui reflète une régularisation de cette catégorie après des années d’augmentation continue. Ces activités comprennent, entre autres, la fourniture d’énergie et d’eau, les services et réseaux de transport et de télécommunications, l’agroalimentaire, la santé publique, etc.
    • R&D dans les technologies critiques : Malgré l’élargissement de la liste des technologies critiques (avec, par exemple, l’ajout des technologies bas-carbone et photonique en 2024), cette catégorie est restée stable, avec 14 % des autorisations en 2024. Les technologies les plus représentées sont les biotechnologies, les semi-conducteurs et la cybersécurité.
    • Activités mixtes : Désignant des activités à la croisée de deux ou plusieurs des catégories ci-dessus, elles représentaient environ 22 % des autorisations délivrées en 2024 (un chiffre stable par rapport à 2023).
  • Origine des investisseurs :

Les investisseurs hors UE/EEE ont représenté 65 % des dépôts en 2024 (contre 69 % en 2023), les États-Unis, le Royaume-Uni et la Suisse étant les principales sources de capitaux.

Les investissements provenant de l’UE ont représenté 35 %, le Luxembourg, l’Allemagne et les Pays-Bas arrivant en tête.

Ces investissements ont été principalement réalisés par des investisseurs financiers (par exemple, des sociétés de capital-investissement), qui représentaient près de la moitié de tous les dépôts de dossiers IDE (44 % en 2024, 43 % en 2023). La hausse observée en 2023 des investissements finalement réalisés par des particuliers s’est poursuivie en 2024, ceux-ci représentant 28 % des investissements (contre 24 % en 2023), tandis que les transactions menées par des acteurs industriels ont continué de baisser (27 % en 2024, 33 % en 2023).

  • Efficacité procédurale :

Bien que le Ministère ne communique pas le délai moyen nécessaire à la délivrance d’une autorisation sans condition au cours de la Phase I, il indique que le délai moyen pour les autorisations conditionnelles était inférieur de 19 jours ouvrables au délai réglementaire (75 jours). Si cela semble exact pour la plupart des demandes, les récentes turbulences politiques risquent d’influer sur ces statistiques, sans parler des transactions hautement sensibles.

Le régime IDE français prévoit des dispositions spécifiques pour les entreprises en difficulté, mais le Ministère est depuis longtemps salué pour son pragmatisme et sa réactivité. Le Rapport précise que le Ministère collabore avec les autres administrations (Comité Interministériel de Restructuration Industrielle (CIRI), Délégation Interministérielle aux Restructurations d’Entreprises (DIRE)) et les conseillers en insolvabilité afin d’assurer une interaction harmonieuse entre le processus français d’examen des IDE et les procédures d’insolvabilité françaises.

Le Rapport indique également que l’examen et l’autorisation des transactions impliquant des entreprises en difficulté prennent en moyenne 20 jours ouvrables (17 décisions en 2024, 9 en 2023).

  • Droit de veto :

Le Ministère indique que seuls six refus ont été prononcés au cours des trois dernières années, afin de souligner son approche proportionnée et axée sur l’atténuation des risques. D’après notre expérience, cette statistique –publiée pour la première fois– doit être appréhendée avec prudence, car il n’est pas précisé si ce chiffre inclut les refus tacites (c’est-à-dire l’expiration de la période d’examen réglementaire), sachant aussi que des demandes peuvent également être retirées avant l’émission d’un veto officiel.

 

2. Principales contributions des Lignes directrices 2025

L’édition 2025 des Lignes directrices en matière d’IDE, publiée par le Direction générale du Trésor, apporte une mise à jour bienvenue depuis l’édition 2022 et constitue une référence complète pour les praticiens.

Les contributions clés sont les suivantes :

  • Ajout des succursales étrangères :

Depuis la réforme de 2024, le régime des IDE couvre non seulement les entreprises françaises, mais aussi les succursales d’entités étrangères, à condition que ces succursales soient enregistrées en France.

  • Seuils abaissés :

Le seuil de détention de 10 % des droits de vote pour les sociétés cotées, initialement une mesure temporaire mise en place pendant la pandémie de COVID, a été rendu permanent, renforçant ainsi la capacité du régime à traiter les acquisitions minoritaires ayant un impact stratégique potentiel.

Quant au seuil de 25 % applicable aux sociétés cotées et non cotées, le seuil de 10 % ne s’applique pas aux investisseurs de l’UE/EEE, dans la mesure où l’ensemble de leur chaîne de contrôle se trouve au sein de l’UE/EEE.

Enfin, les Lignes directrices mises à jour précisent que lorsqu’un investisseur étranger a été autorisé à franchir le seuil de 10 %, il doit tout de même soumettre une nouvelle demande d’autorisation s’il a l’intention de franchir le seuil de détention de 25 % des droits de vote (lorsque la règle des 10 % était temporaire, l’autorisation de dépasser 10 % couvrait également le seuil de 25 %, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui).

  • Création d’entité ou d’activité (greenfield investments) :

À l’heure actuelle, les investissements dans des projets entièrement nouveaux –également dénommés investissements "greenfield"– ne sont pas soumis au contrôle des IDE en France. Cela pourrait changer dans un avenir proche (voir Perspectives, ci-dessous).

  • Calcul des seuils :

Bien que déjà appliquées par les praticiens, les Lignes directrices clarifient la méthode de calcul de la détention indirecte des droits de vote. Le calcul doit inclure toute participation détenue par un investisseur par l’intermédiaire d’entités qu’il contrôle.

À titre d’exemple, lorsqu’un investissement conduit l’investisseur à détenir 25 % des droits de vote dans la structure d’acquisition qui a acquis ou va acquérir le contrôle d’une société cible française, cet investissement est soumis au contrôle des IDE, car l’investisseur est considéré comme ayant franchi le seuil de 25 % dans la société cible française.

De même, un investisseur qui a franchi le seuil de 25 % dans une société cible française sera réputé avoir franchi ce seuil dans toutes les filiales contrôlées par cette société cible.

  • Fonds d’investissement :

Pour les investisseurs constitués en fonds d’investissement, la déclaration d’IDE doit fournir l’identité du ou des gestionnaires de fonds ainsi que celle des entités ou des personnes qui contrôlent en dernier ressort ces gestionnaires de fonds.

Toutefois, les Lignes directrices précisent que cette obligation d’identification ne s’étend pas aux commanditaires ou aux investisseurs du fonds, à condition que ces personnes physiques ou morales soient passives et ne contrôlent ni n’influencent la gestion ou les opérations du fonds (par le biais de droits spécifiques ou d’une partie du capital). Les autorités peuvent toutefois passer outre cette limitation s’il existe un besoin spécifique d’obtenir l’identité de tous ou de certains commanditaires ou investisseurs d’un fonds d’investissement.

  • Activités sensibles :

La liste des activités sensibles (article R. 151-3 du Code monétaire et financier) continue de s’allonger, en fonction d’un large éventail de facteurs, parfois opportunistes. Elle comprend les activités liées à la défense, aux biens à double usage, aux infrastructures critiques, à la santé, à l’énergie, aux matières premières critiques, à la sécurité pénitentiaire, à l’énergie à faible émission de carbone, au stockage de l’énergie, à la photonique, etc.

La liste des matières premières critiques, qui n’est pas définie dans la réglementation IDE, est clarifiée par les Lignes directrices en référence à la réglementation européenne sur les matières premières critiques. Parmi les 34 matières qui y sont répertoriées, on trouve le lithium, le magnésium, les terres rares, le cuivre, l’aluminium, etc.

En ce qui concerne l’édition 2022, ces Lignes directrices mises à jour ne fournissent pas énormément d’indications concernant les activités sensibles. Certaines indications informelles fournies par le Ministère ne figurent étonnamment pas dans le document, comme l’exclusion de certains investissements dans des infrastructures énergétiques dont la capacité de production est inférieure à 50 MW.

  • Numérisation :

Toutes les demandes d’autorisation doivent désormais être effectuées via une plateforme IDE dédiée, ce qui simplifie le processus et permet aux demandeurs d’avoir accès à un suivi en temps réel.

Malgré les efforts déployés pour améliorer l’expérience utilisateur, la plateforme s’avère pour l’instant rigide et chronophage, avec des contraintes telles que des limitations de mots, des limites de taille pour les pièces jointes ou des champs fastidieux à remplir (en particulier dans le cas de nombreuses filiales), rendant parfois le processus de dépôt beaucoup trop compliqué.

 

3. Perspectives : attractivité de la France et recommandations parlementaires

  • Première destination européenne :

Pour la sixième année consécutive, la France se place au premier rang des destinations européennes pour les IDE, avec 1.025 projets en 2024, devant le Royaume-Uni (853) et l’Allemagne (608). La France a attiré 19 % de l’ensemble des projets d’IDE en Europe, soit une légère augmentation par rapport à 2019.

Cette attractivité est particulièrement marquée pour les projets industriels (plus d’un quart de tous les investissements étrangers dans le secteur manufacturier européen) et les projets de R&D, notamment dans les domaines de l’IA et des technologies quantiques.

Ces investissements sont répartis sur l’ensemble du territoire français, 75 % des projets d’IDE étant situés hors région parisienne, ce qui reflète l’attractivité des écosystèmes régionaux.

  • Recommandations parlementaires en matière de réforme :

La Rapport d’information parlementaire 2025 fournit une évaluation critique du régime français en matière d’investissements directs étrangers (IDE) et propose 22 recommandations visant à renforcer la sécurité économique, la transparence et la souveraineté de la France.

Les principales propositions sont les suivantes :

    • Contrôle modulaire et gradué : Introduire des critères d’éligibilité différenciés (seuils, nationalité) basés sur la sensibilité des actifs.
    • Intervention ex post : Autoriser l’État à intervenir après la conclusion d’une transaction dans des secteurs stratégiques, à l’instar du modèle britannique.
    • Champ élargi : Élargir la définition des investissements visés afin d’inclure les projets greenfield et les transactions conférant une influence significative, et non plus seulement un contrôle.
    • Liste élargie des secteurs stratégiques : Dans la liste des secteurs protégés, ajouter ou clarifier les définitions de certaines activités, telles que les plateformes numériques, les centres de données, la banque et la finance, la culture, certains biens immobiliers et les nouvelles technologies (y compris l’IA).
    • Ressources et procédures renforcées : Augmenter les effectifs de l’agence chargée des IDE au sein du Ministère et clarifier la nature des conditions imposées aux investisseurs.
    • Renforcement du contrôle parlementaire et de la transparence : Créer une délégation parlementaire pour la sécurité économique, améliorer la publication des conditions et des décisions, et clarifier l’application des règles de transparence en matière de lobbying aux conseillers représentant des investisseurs étrangers.
    • Intégration avec une politique plus large de sécurité économique : Élaborer une doctrine nationale en matière d’intelligence économique, améliorer la coordination entre les opérateurs financiers publics et envisager des contrôles réguliers sur les investissements sortants dans les technologies sensibles.

 

Conclusion

Le régime français de contrôle des investissements étrangers continue d’évoluer en réponse aux défis mondiaux et aux priorités nationales. Le Rapport annuel, les nouvelles Lignes directrices 2025 et les dernières analyses politiques indiquent toutes une approche plus sophistiquée, plus transparente et fondée sur les risques.

Le recours accru aux mesures d’atténuation reflète une évaluation plus rigoureuse des risques et une approche toujours adaptée visant à garantir la continuité des activités sensibles et la protection de la sécurité nationale et économique.

Plus important encore, les efforts visant à fournir un cadre stable et prévisible aux investisseurs étrangers continuent de porter leurs fruits et l’attractivité reste forte.

Néanmoins, dans un contexte de tensions politiques nationales et internationales et d’incertitude économique, les investisseurs et les praticiens du droit qui conseillent sur les transactions transfrontalières en France doivent rester vigilants, informés, proactifs capables de s’adapter pour naviguer dans cet environnement complexe.

 

 

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