3 questions à Wacef Bentaibi et Julien Nouchi
Quelles sont les incitations fiscales dites « de droit commun » dont bénéficient les projets d’investissement au Maroc ?
Depuis 2022, le Maroc a révisé sa Charte de l’investissement afin de renforcer l’attractivité du Royaume et de mettre en place de nouveaux dispositifs de soutien à l’investissement. Ce cadre rénové repose sur deux principaux leviers d’incitation : l’octroi de subventions publiques et des avantages fiscaux, sous forme d’exonérations.
Ainsi, tout investisseur (marocain ou étranger) dont le projet d’investissement dépasse 50 millions de dirhams peut, sous réserve de la signature d’une convention d’investissement avec l’État marocain, bénéficier d’une exonération totale de la TVA (locale et à l’importation) ainsi que des droits de douane, pour la réalisation de son programme d’investissement.
Dans la plupart des projets d’investissements et notamment dans le cadre des programmes d’investissement portant sur la réalisation d’infrastructures publiques, d’ouvrages de production d’eau potable, d’énergie ou dans le cadre de grands projets industriels ou touristiques, la conclusion d’une convention d’investissement est un préalable indispensable et un élément prépondérant de la modélisation financière, juridique et fiscale des projets.
En contrepartie des avantages fiscaux et douaniers consentis par l’Etat, l’investisseur s’engage dans la convention à respecter certaines obligations, notamment en matière de création d’emplois, d’investissement (CAPEX) ainsi que sur les délais d’exécution des projets. Les exonérations précitées sont accordées pour une durée maximale de 36 mois à compter de la date de signature de la convention.
Il est par conséquent essentiel pour l’investisseur de tenir compte de la durée des périodes d’exonération disponibles pour définir son programme d’investissement et le calendrier de réalisation des ouvrages associés à chaque projet. Une coordination étroite entre les équipes techniques, financières et juridiques mises en place par l’investisseur est par conséquent essentielle pour s’assurer de l’adéquation entre la durée des régimes de faveur précités et le calendrier de développement des projets.
Quel est l’impact de la convention d’investissement sur la gestion globale d’un contrat de construction ?
La bonne compréhension des mécanismes d’une convention d’investissement doit être partagée par les parties afin d’assurer sa mise en œuvre concrète au profit du maître d’ouvrage. Sa signature ne permet pas, à elle seule, de garantir l’effectivité des exonérations fiscales ou douanières. Des démarches administratives spécifiques doivent être accomplies par l’investisseur ou maître d’ouvrage du projet ou, le cas échéant, par les personnes mandatées par ce dernier.
Ces démarches comprennent notamment l’obtention d’attestations d’achat en exonération de TVA auprès de l’administration fiscale (nécessitant l’émission par le maître d’œuvre de factures pro forma) ou bien le visa de l’agence ministérielle de l’investissement (AMDIE) de la liste de biens et équipements importés au Maroc dans le cadre du projet, afin d’autoriser l’administration des douanes à permettre un dédouanement des marchandises en exonération de TVA à l’importation et en franchise de droits de douane.
A cet effet, il est essentiel que le mandat de représentation éventuellement confié par le maître d’ouvrage à son maître d’œuvre soit établi dans des termes suffisamment précis afin de permettre au maître d’œuvre sélectionné de réaliser les formalités requises pour le compte du maître d’ouvrage et ainsi faire valoir les droits de ce dernier vis-à-vis des administrations fiscales et douanières compétentes.
Par ailleurs, des difficultés techniques ou le cas échéant, la survenance de facteurs externes (force majeure, aléas administratifs etc.) peuvent survenir dans la réalisation d’un projet et entraîner des retards d’exécution susceptibles d’entraîner un manquement de l’investisseur à ses obligations au titre de la convention d’investissement et ainsi remettre en cause le bénéfice des exonérations fiscales et douanières découlant de ladite convention.
Il est par conséquent primordial d’assurer une coordination efficace entre les parties pour gérer les délais d’exonération impartis. L’investisseur est donc invité à s’assurer que le maître d’œuvre sélectionné par ses soins est en mesure d’effectuer le suivi des délais en étant parfaitement informé des règles applicables à (i) la définition du point de départ du délai de 36 mois au cours duquel ce dernier bénéficie des exonérations applicables ainsi que (ii) les conditions de prorogation (avec ou sans exigence de démonstration de l’existence d’une force majeure) dudit délai en cas de survenance de circonstances non-imputables à l’investisseur.
Quel est le principal point d’attention pour un maître d’œuvre dont le client bénéficie d’une convention d’investissement ?
Nous constatons régulièrement que des maîtres d’œuvre non-avertis anticipent à tort une extension des droits du titulaire de la convention d’investissement à leur profit, ce qui peut entraîner des conséquences particulièrement dommageables dans l’exécution des projets. Concrètement, ces derniers doivent facturer leur client en exonération de TVA, tout en supportant des charges soumises à cette taxe.
Ainsi, de sérieuses complications peuvent survenir si le maître d’œuvre n’est pas conscient qu’il doit facturer ses prestations au maître d’ouvrage en exonération de TVA. En effet, dans le contexte d’une convention d’investissement, le droit à déduction de la TVA est transféré au maître d’œuvre, qui peut alors demander à l’administration fiscale le remboursement de la TVA acquittée auprès de ses sous-traitants. Toutefois, ce mécanisme implique un effort de trésorerie de la part de ce dernier, puisque le maître d’œuvre et tenu de s’acquitter du paiement de la TVA à ses fournisseurs et sous-traitants et subit ainsi les délais nécessaires au remboursement de cette TVA par le Trésor public.
La trésorerie du maître d’œuvre (dans certains cas mal dimensionnée) ne lui permet donc plus de faire face à ses charges ce qui peut à terme aboutir à des difficultés importantes dans l’exécution du contrat et partant, dans le développement des projets. A ce titre, il est par conséquent essentiel de garder à l’esprit que le bénéfice de l’exonération de TVA est réservé au maître d’ouvrage (investisseur) et qu’il ne peut, en aucun cas, être transféré au maître d’œuvre.
Dans le cadre d’opérations de construction d’envergure impliquant la conclusion de contrats de conception, fourniture d’équipements et de construction clés en main, il est essentiel pour les parties de bien clarifier leurs rôles, l’étendue de leurs droits et de leurs responsabilités dans la conduite des formalités requises pour permettre au maître d’œuvre bénéficier des avantages découlant d’une convention d’investissement.