10 juillet 2014
Publication | France - Droit social
Par Aurélien Boulanger, Delphine Liault et Francis Kessler
La notion de co-emploi a notamment été développée dans le cadre d’un licenciement pour motif économique en vue de faire concourir à la dette de l’employeur envers les licenciés, une entreprise tierce qui n’est pas contractant avec les salariés, le plus souvent la société mère d’un groupe, éventuellement étrangère qui devient « employeur de circonstance » : la société mère est qualifiée de co-employeur des salariés d’une filiale et ce, régulièrement, dans un contexte de cessation d’activité de cette dernière.
Cette qualification conduit à ce que chacun des (co-) employeurs est débiteur des obligations liées à la qualité d’employeurs en cas de licenciement. En particulier la reconnaissance a posteriori de la qualité de co-employeur a pour effet presque inéluctable d’anéantir le motif économique invoqué. Le co-employeur, employeur bis, est évidemment également pris en défaut de ne pas avoir exécutées les obligations afférentes au licenciement économique, dont a priori, il ne connaissait pas l’existence à son encontre.
La qualité de co-employeur à l'égard du personnel suppose une situation de fait caractérisée par l’existence d’une « confusion [cumulative] d'intérêts, d'activités et de direction » entre deux sociétés appartenant le plus souvent au même groupe.
En résumé, la jurisprudence rendue en la matière impose, pour retenir la qualification exceptionnelle de co-employeur, une immixtion totale d’une société dans la gestion - en particulier la gestion sociale- d’une autre.
L’arrêt Molex du 2 juillet 2014 par la Cour de cassation s’inscrit dans cette exigence de démonstration de l’immixtion de la société mère dans la gestion de sa filiale et précise encore les indices qui, loin de caractériser l’ingérence totale de la société mère au sein de la filiale permettant d’invoquer un coemploi, illustrent le fonctionnement normal au sein d’un groupe. Ainsi, la haute juridiction judiciaire retient que lorsque « les dirigeants de la filiale proviennent du groupe et que la société mère » avait « pris dans le cadre de la politique du groupe des décisions affectant le devenir de la filiale et [s’est] engagée à fournir les moyens nécessaires au financement des mesures sociales liées à la fermeture du site et à la suppression des emplois » cela « ne pouvait suffire à caractériser une situation de co-emploi». La société-mère était pourtant, dans cette espèce, impliquée tant dans la cessation d’activité que dans le plan de sauvegarde de l’emploi de la filiale mais sans pour autant caractériser l’immixtion inappropriée de la société mère dans la filiale et la perte d’autonomie de fait de cette dernière dans la conduite de l’entreprise en raison du comportement de la maison mère.
Cet arrêt illustre ce qui relève du « fonctionnement normal » d’un groupe, en ce compris le rôle majeur de l’actionnaire notamment lors d’une restructuration, et le « fonctionnement anormal » du groupe qui seul déclencherait l’application de la notion de co-emploi.
Le débat juridique autour des réorganisations voire des fermetures de site décidé par les dirigeants de l’entreprise dominante du groupe n’est certainement pas clos. L’affaire Molex va être à nouveau jugée à Bordeaux. Les juges de renvoi résisteront-ils à la Cour de cassation ?
La question ne manquera pas non plus de rebondir par l’intervention de l’administration du travail se prononçant à l’occasion de l’homologation des plans de sauvegarde de l’emploi.
___________
Cet article a été diffusé sur le site Le Monde du Droit le 9 juillet 2014. Retrouvez également l'interview (vidéo) de Delphine Liault et Aurélien Boulanger interrogés à ce sujet par le directeur de la rédaction du Monde du Droit, Arnaud Dumourier.