Avec le développement de nouvelles technologies, une catégorie particulière de litiges est en train de se développer progressivement : il s’agit des litiges liés à la technologie de la blockchain et aux contrats intelligents (smart contracts).
Se pose alors la question de savoir quelle est la méthode la plus adaptée pour la résolution de ce type de litiges présentant des caractéristiques propres. Faut-il porter le litige devant les tribunaux étatiques ? Ou au contraire, faut-il privilégier, les modes alternatifs de règlement des différends, désignés souvent sous l'acronyme ADR (Alternative dispute resolution), et en particulier l’arbitrage international ?
Litiges potentiels — Dans la mesure où les contrats intelligents s’exécutent automatiquement, d’aucuns ont tendance à croire qu’il n’y aurait aucun litige dans ce domaine.
Or, il s’agit d’une fausse croyance.
Bien que les contrats intelligents puissent présenter, selon leurs caractéristiques, plusieurs avantages tels que l'automatisation de certaines tâches, le renforcement de la sécurité ou la réduction des coûts, les litiges y sont inévitables. Sans prétendre en dresser une liste exhaustive, il n’est pas difficile de prédire que des litiges potentiels vont se développer à propos de la validité du contrat (ie. de la capacité juridique) ou encore de son inexécution. Notamment, les erreurs de codage peuvent entraîner des problèmes d’exécution inattendus. Que se passe-t-il si le contrat ne reflète plus l’accord des parties ? Le contrat risque de ne pas être exécuté par les parties dans la mesure où celui-ci ne refléterait plus l’accord initial. Dans ce cas, qui sera responsable du préjudice sachant que la nature décentralisée d'une blockchain peut, dans certains cas, déstructurer la chaîne de responsabilité ? Les risques technologiques inhérents à la blockchain, par exemple en matière de cybersécurité, posent également de nouvelles questions en matière de responsabilité. De surcroît, comme certaines notions juridiques telles que « les efforts raisonnables » ou « la bonne foi » sont difficiles à coder, l’interprétation des contrats intelligents peut générer des difficultés.
Recours aux modes alternatifs de règlement des différends — Compte tenu des litiges potentiels dans le domaine de la blockchain, se pose la question de savoir si les tribunaux traditionnels peuvent statuer sur les litiges découlant des contrats intelligents. Les caractéristiques et le fonctionnement de la blockchain révèlent qu’il faut privilégier l’ADR qui constitue une alternative prometteuse aux procédures judiciaires :
En premier lieu, un contrat intelligent est un code susceptible d'être formulé dans plusieurs langages de programmation. Les tribunaux pourraient alors éprouver des difficultés à interpréter les contrats intelligents, ainsi rédigés dans un langage codé donné. En outre, un tribunal pourrait éprouver des difficultés à intervenir pour neutraliser ou annuler un contrat automatique. Cela s'explique par les spécificités propres à chaque langage de programmation pour éventuellement modifier ledit code, et par le caractère immuable de la blockchain.
En deuxième lieu, la nature anonyme decertains contrats intelligents pourrait rendre difficile la détermination de l'identité des parties. Dès lors, même si leur usage peut différer d'une infrastructure à une autre, le caractère décentralisé sur lequel sont programmés ces contrats pouurait empêcher les tribunaux de vérifier leur compétence et dans certains cas, de déterminer la loi applicable selon des règles traditionnelles.
Enfin, les litiges relatifs aux contrats intelligents supposent souvent des témoignages et des expertises contenant des informations relatives à de nouvelles technologies que les parties souhaitent garder confidentielles.
Ces raisons militent pour le recours aux ADR dont l’arbitrage semble constituer la voie optimale pour résoudre les litiges liés à la blockchain.
Distinction de l’arbitrage « on chain » de l’arbitrage « off chain » — L’arbitrage a pris un rôle important dans les litiges liés à la blockchain à tel point qu’aujourd’hui, on parle même d’un « arbitrage blockchain » où la technologie de la blockchain est intégrée dans l’ADR lui-même. C’est ainsi que nous pouvons distinguer deux approches : l’arbitrage « on-chain » et l'arbitrage « off-chain ».
L'arbitrage « off chain » s'apparente davantage à la procédure arbitrale traditionnelle dans la mesure où il ne prévoit pas l'exécution automatique de la sentence. L’arbitrage « off chain » peut notamment être facilité par des règles arbitrales conçues spécifiquement pour la blockchain et les contrats intelligents. Ainsi, en Pologne, au sein de la Chambre de commerce de la blockchain et des nouvelles technologies, la première Cour d'arbitrage pour la blockchain a été créée.
L'arbitrage « on-chain » implique essentiellement l'utilisation de solutions technologiques par lesquelles l'équivalent d'une sentence arbitrale traditionnelle est automatiquement exécutée par le contrat intelligent. De ce point de vue, la technologie de la blockchain et les contrats intelligents pourraient d’ailleurs susciter la création d’une nouvelle Lex Cryptographia. Il existe déjà aujourd'hui un certain nombre de plateformes offrant des services d'arbitrage « on-chain » (par exemple, Kleros, Juris, Confideal, Mattereum et CodeLegit, etc.).
Obstacles à surmonter — Bien que l’arbitrage ait pris une place importante dans la résolution des différends liés à la blockchain, de nombreux obstacles restent à surmonter. En effet, l’exécution des sentences, la détermination du siège arbitral, les potentielles failles de sécurité des plateformes arbitrales, la modalité de désignation des arbitres, constituent des enjeux importants pour l’avenir de la résolution des différends liés à la blockchain.
Compte tenu de ces difficultés, et à ce stade, il semble plus prudent de préférer des solutions hybrides combinant l’arbitrage « off chain » et l’arbitrage « on chain ». C’est d’ailleurs ce qui semble découler d’une décision récente du tribunal mexicain rendue le 28 mai 2021. En effet, pour la première fois, ce tribunal mexicain a admis l’exécution d’une sentence arbitrale dont l'essentiel était régi non pas par le seul jugement de l'arbitre, mais par un outil technologique conçu pour la résolution décentralisée des litiges : le protocole Kleros. Ce qui est intéressant dans cette affaire est la dissimulation de l’arbitrage blockchain par l’incorporation de la sentence blockchain dans une sentence traditionnelle. Bien qu’on ne puisse interpréter cette solution comme une règle générale, cela ouvre la voie à des solutions hybrides compatibles avec le cadre traditionnel de l’arbitrage.
En conséquence, la mise en œuvre d'un mécanisme efficace de règlement des litiges liés à la blockchain constitue une étape fondamentale pour sécuriser les transactions cryptographiques et permettre l’évolution de l'économie "crypto". À cet égard, l’ADR et en particulier l’arbitrage international, semble la voie optimale et la plus compatible avec les caractéristiques de la blockchain. En revanche, il ne faut pas oublier que des zones d’ombres subsistent sur de nombreux points juridiques et que les cas d'usages ayant recours à la blockchain présentent également des réalités très différentes, notamment en matière de chaîne de responsabilité. Les avocats et les clients doivent donc rester attentifs aux particularités de cette technologie grandissante : il convient de rester à la pointe de l'innovation technologique et juridique, tout en restant attentifs aux nouveaux types de risques émergents.
Zoé Koray