Analyses & décryptages

Zoom sur quelques développements récents en matière de droit de la concurrence en Afrique

Le droit africain de la concurrence continue d’évoluer avec des transformations marquées par des réformes réglementaires et un renforcement de la pratique dans plusieurs juridictions/autorités régionales auprès desquelles nous assistons nos clients avec nos bureaux situés au Maroc, en Tunisie et en Algérie.

 

  1. CEDEAO : Nouvelles lignes directrices relative au contrôle des concentrations

Devenue opérationnelle le 1er octobre 2024, l’Autorité Régionale de la Concurrence de la CEDEAO (ARCC), qui comprend 12 pays (Bénin, Cap Vert, Côte d’Ivoire, Gamba, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Liberia, Nigeria, Sénégal, Sierra Leone et Togo)[1] a déjà publié ses premières autorisations de concentrations dans le cadre du nouveau régime, avec une période d’examen en moyenne de plus ou moins 3 mois après la notification.[2]

L’ ARCC a également publié récemment de nouvelles Lignes Directrices détaillant la procédure et l’évaluation des concentrations. Ces lignes directrices sont très proches des règles françaises et européennes et établissent un cadre complet pour l’évaluation des opérations de concentration.

Les Lignes Directrices clarifient le calendrier d’examen d’une concentration par l’ERCA : (i) le Directeur Exécutif dispose de 30 jours ouvrables pour émettre une recommandation au Conseil en l’absence de problèmes de concurrence (phase I) ; en cas de préoccupations de concurrence, ce délai peut être prolongé de 60 jours ouvrables supplémentaires (phase 2) ; (ii) le Conseil dispose ensuite de 30 jours ouvrables pour rendre une décision, qui peut être prolongée de 15 jours ouvrables en cas de préoccupations de concurrence.

Les lignes directrices prévoient également la possibilité d’une procédure de pré-notification, notamment pour clarifier l’éventuelle obligation de notification.

Il convient d’accorder une attention particulière aux frais de notification. Les Lignes Directrices précisent que les frais de notification correspondent à 0,1 % du chiffre d’affaires annuel combiné ou de la valeur combinée des actifs – le montant le plus élevé étant retenu – des entreprises au sein de la Communauté (sans plafond). Dans la pratique, les modalités de paiement des frais de notification peuvent être discutées avec l’ARCC (paiement en plusieurs versements). La période d’examen par l’ARCC commence à la date du paiement des frais de notification.

Les lignes directrices indiquent dans quels cas une notification sera soumise au contrôle de l’ ARCC ou d’une autorité nationale de la concurrence, l’objectif étant que l’ ARCC constitue un guichet unique pour les opérations transfrontalières atteignant les seuils de la CEDEAO.

La CEDEAO est donc devenue une juridiction à prendre en compte lors d’une analyse multi-juridictionnelle, et elle devrait appliquer pleinement ses règles. Il est donc essentiel de veiller au respect de son régime de contrôle des concentrations.

 

  1. Tunisie : reconnaissance du guichet unique du COMESA

La Tunisie a récemment signé un protocole d’accord avec la Commission de la concurrence de la COMESA (CCC), marquant ainsi une étape importante dans le renforcement de la coopération régionale en matière de politique de concurrence et d’application des lois. Cet accord vise à renforcer l’application des politiques et des lois sur la concurrence en Tunisie et dans l’ensemble de la région de la COMESA.

Le protocole d’accord a été signé lors d’une session de formation de trois jours qui s’est tenue à Tunis et qui portait sur l’adaptation de la législation tunisienne aux normes internationales afin d’assurer une reprise économique durable.

Le protocole d’accord introduit un processus de notification entre la COMESA et la Tunisie, permettant aux deux parties de s’informer mutuellement des mesures d’application susceptibles d’avoir un impact sur les intérêts de l’autre partie. Cela s’applique aux pratiques anticoncurrentielles, aux comportements autorisés ou interdits par l’une d’entre elles, à l’imposition de sanctions, mesures correctives, de conditions, d’engagements, etc.

En ce qui concerne les concentrations, la COMESA et la Tunisie ont convenu de s’informer de toute information pertinente concernant les opérations ayant une dimension nationale ou régionale. Le protocole d’accord témoigne d’un échange d’informations et d’une coopération solides entre la Tunisie et la COMESA.

Une autre évolution discutée à cette occasion est la reconnaissance du principe du guichet unique par les autorités tunisiennes de la concurrence (c’est-à-dire la compétence exclusive de la COMESA). La pratique récente (suite à la ratification du traité COMESA par la Tunisie) consiste à considérer que si une opération de concentration concerne deux États membres de la COMESA dont les seuils sont atteints, il ne sera pas nécessaire de déposer une notification en Tunisie, même si les seuils sont atteints dans le pays.[3]

 

  1. Maroc : poursuite de l’application active des règles de concurrence

Depuis sa réactivation en 2019, le Conseil de la concurrence marocain est très actif en matière de contrôle des concentrations. Son contrôlé s’est notamment renforcé avec l’adoption récente de lignes directrices qui présentent de manière détaillée la procédure ainsi que la grille d’analyse du Conseil.[4]

Le Conseil de la concurrence a également récemment autorisé plusieurs opérations de concentrations sous conditions d’engagements structurels et/ou comportementaux à l’issue de Phase 1 ou Phase 2, dans des secteurs variés comme les secteurs bancaire, de l’assurance et de la construction, sous le contrôle d’un mandataire chargé de contrôler le suivi de ces engagements dans certains cas.

En outre, l’application des règles relatives à l’interdiction des ententes et abus de position dominante se développent aussi en parallèle, notamment avec les premières opérations de visites et saisies menées par le Conseil de la concurrence en octobre 2024.

 

  1. Algérie : réactivation du Conseil de la concurrence

En février 2025, l’Algérie a revitalisé son Conseil de la concurrence avec une nouvelle composition, après une période transitoire. Le président a nommé les nouveaux membres par un décret présidentiel daté du 18 février 2025, dans le but de renforcer la politique de concurrence en tant que pierre angulaire de la réforme économique et du développement durable.

Lors de la cérémonie d’installation de la nouvelle composition, le ministre du commerce a souligné le rôle du Conseil dans l’application des lois sur la concurrence, la lutte contre les monopoles et la garantie de la stabilité du marché. Il a également plaidé en faveur d’une révision de la loi sur la concurrence afin de mieux traiter des questions telles que la protection du pouvoir d’achat des consommateurs.

Les opérations qui atteignent les seuils de contrôle des concentrations sont examinées et doivent faire l’objet d’une autorisation avant leur mise en œuvre.[5]

 

 

[1] L’ARCC a pris acte du retrait du Burkina Faso, du Mali et du Niger de la CEDEAO le 29 janvier 2025 (voir le communiqué de presse de l’ARCC, disponible à l’adresse suivante : https://www.ecowas.int/press-statement-2/
[2] Une déclaration préalable de concentration est obligatoire si l’un des deux seuils alternatifs suivants est atteint :
  • le chiffre d’affaires combiné ou tout élément pertinent du bilan (le plus élevé des deux) des parties à l’opération dépasse 20 millions d’unités de compte dans la CEDEAO, soit 23,89 millions d’euros (une unité de compte équivaut à 1,1947 euros au 05 juin 2025), ou
  • le chiffre d’affaires d’au moins deux des parties à la transaction ou tout élément pertinent du bilan (le montant le plus élevé étant retenu) dépasse 5 millions d’unités de compte CEDEAO au sein de la CEDEAO, soit 5,97 millions d’euros.
Pour être considérée comme une concentration à l’échelle communautaire, l’opération doit concerner des entreprises qui exercent leurs activités dans au moins deux États membres de la CEDEAO. Il convient de noter que, selon l’ ARCC, la condition des deux États membres est remplie même si la cible n’est active que dans un seul État membre, pour autant que l’acquéreur soit actif dans un ou plusieurs autre(s) État(s) membre(s).
[3] En ce qui concerne le COMESA, une notification est obligatoire lorsque les deux conditions suivantes sont remplies :
  • Le chiffre d’affaires ou les actifs des entreprises concernées à l’échelle du COMESA sont supérieurs ou égaux à 50 millions de dollars US (environ 46,19 millions d’euros) ; et
  • chacune d’au moins deux des entreprises concernées a un chiffre d’affaires ou des actifs dans l’ensemble du COMESA de 10 millions de dollars US (environ 9,23 millions d’euros) ou plus.
à condition que les parties ne réalisent pas 2/3 ou plus de leur chiffre d’affaires individuel dans un seul et même État membre du COMESA (auquel cas une notification doit être faite à cet État membre). Jusqu’à présent, le régime n’est pas suspensif.
En Tunisie, la notification préablable est obligatoire si l’un des seuils suivants est atteint :
  • Seuil de part de marché : La part de marché combinée moyenne des parties sur un marché en Tunisie au cours des trois dernières années est supérieure à 30 %.
  • Seuil de chiffre d’affaires : Le chiffre d’affaires total de toutes les entités impliquées dans la transaction en Tunisie (hors exportations et taxes sur les ventes) a dépassé 100 millions TND (environ 32,13 millions USD, 29,71 millions EUR).
[4] Conseil de la concurrence marocain, Lignes directrices relatives au contrôle des concentrations, décembre 2023. Disponible à l’adresse suivante : https://conseil-concurrence.ma/lignes-directrices-relatives-au-controle-des-operations-de-concentration-economique-decembre-2023/
[5]  En Algérie, une notification au titre du contrôle des concentrations est obligatoire si le seuil suivant est atteint :
  • Toute opération impliquant une partie qui détient ou créera une part de marché de plus de 40 % en Algérie, ou sur un marché géographique plus large comprenant l’Algérie, doit être notifiée au Conseil et autorisée par celui-ci avant la mise en œuvre de l’opération.

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