La Cour administrative d’appel de Bordeaux précise les règles s’attachant à la délivrance et contestation des permis de construire valant AEC
- Par un premier arrêt (n° 17BX03222), la Cour a étendu le champ d’application du principe posé par l’avis contentieux MDVP Distribution du Conseil d’Etat concernant le délai de recours contre un permis de construire valant AEC lorsque la CNAC rend son avis postérieurement à la délivrance dudit permis.
En l’espèce, une société a obtenu un avis favorable de la CDAC de l’Indre le 5 février 2015. Cet avis a été contesté par une société voisine concurrente devant la CNAC qui a, elle aussi, émis un avis favorable au projet le 1er juillet 2015.
Le maire de la commune d’implantation a toutefois, entre-temps, le 3 avril 2015, délivré un permis de construire valant autorisation d’exploitation commercial pour ce projet.
La société concurrente a, dans un premier temps, contesté le permis de construire en tant qu’il valait simplement autorisation d’urbanisme, devant le Tribunal administratif de Limoges, la requête ayant par la suite été transmise à la Cour administrative d’appel de Bordeaux sous le n° 17BX03222.
Par une autre requête, elle a ensuite contesté l’avis de la CNAC du 1er juillet 2015. Cette requête a toutefois été jugée irrecevable dès lors qu’elle était dirigée contre une décision de la CNAC valant avis, et donc insusceptible de recours (CAA Bordeaux 14 décembre 2017, n° 15BX03035).
La requérante a alors cru pouvoir ajouter, dans un mémoire du 18 mai 2018 relatif à l’instance contre l’autorisation d’urbanisme n° 17BX03222, des conclusions tendant à la contestation du volet commercial dudit permis.
La Cour commence par rappeler le principe posé par le Conseil d’Etat dans son avis contentieux MDVP Distribution concernant le délai de recours contre un permis de construire valant autorisation commerciale, lorsque la CNAC rend son avis postérieurement à la délivrance dudit permis (CE 23 décembre 2016, MDVP Distribution, n° 398077), avant d’étendre son champ d’application au cas dans lequel, quelles que soient les modalités de publicité de l’avis de la CNAC, celui-ci a été notifié au requérant.
La Cour constate ainsi que « dans tous les cas où la Commission nationale d’aménagement commercial, régulièrement saisie, est amenée à rendre son avis après la délivrance du permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale, la publication de cet avis dans les conditions fixées à l’article R. 752-39 du code de commerce ouvre, à l’égard des requérants mentionnés au I de l’article L. 752-17 du code de commerce, y compris si le délai déclenché dans les conditions prévues par l’article R. 600-2 du code de l’urbanisme est expiré, un délai de recours de deux mois contre le permis. Il en va de même lorsque, quelles que soient les conditions de publication de l’avis, celui-ci a fait l’objet d’une notification à la société requérante ».
En l’espèce, il ressortait d’un des mémoires de la requérante déposée le 1er septembre 2015 que celle-ci avait connaissance de l’avis de la CNAC depuis cette date.
Constatant que les conclusions datées du 18 mai 2018 et tendant à l’annulation du permis de construire en tant qu’il vaut autorisation commerciale sont nouvelles et ont été déposées plus de deux mois après que le requérant a eu connaissance de l’avis de la CNAC, la Cour rejette lesdites conclusions, les considérant comme tardives, donc irrecevables.
- Par un deuxième arrêt (n° 17BX03415), la Cour a précisé les conséquences de l’irrégularité du rejet d’un recours par la CNAC sur la procédure contentieuse menée contre le permis de construire valant AEC.
En l’espèce, une société avait formé un recours devant la Cour administrative d’appel de Bordeaux contre, d’une part, la « décision » de la CNAC ayant rejeté comme irrecevable son recours contre l’avis de la CDAC de le Haute-Garonne et, d’autre part, le permis de construire valant autorisation commerciale accordé par le maire à ce projet.
Avant de statuer sur les requêtes, la Cour avait saisi le Conseil d’Etat pour avis en soumettant notamment à son examen la question des conséquences attachées au rejet pour irrecevabilité, par la CNAC, du recours contre l’avis de la CDAC (CE avis 15 avril 2019, n° 425854).
Suivant l’avis rendu par le Conseil d’Etat, la Cour examine la décision de rejet de la CNAC et considère qu’elle est entachée d’irrégularité au motif que, n’ayant pas été informée par la CNAC de la date à laquelle serait examiné son recours, la société requérante n’a pas été en mesure de former une demande d’audition préalable au cours de laquelle elle aurait pu faire valoir les arguments en faveur de la recevabilité de son recours.
La Cour constate ensuite, d’une part, que le recours de la société requérante devant la CNAC était bien recevable, dans la mesure où sa zone de chalandise se chevauchait avec celle du projet contesté et, d’autre part, que la CNAC avait également rejeté les recours de deux autres sociétés concurrentes contre le même avis de la CDAC.
La CNAC ne s’étant donc pas prononcée au fond sur cet avis, l’irrégularité de la procédure contestée a pu avoir une incidence sur le sens de la décision accordant le permis de construire valant AEC. Dès lors, l’irrégularité de la procédure devant la CNAC entache d’illégalité le permis de construire valant AEC.
Par suite, la Cour juge qu’il y a lieu de sursoir à statuer, sur le fondement de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, afin que la CNAC soit de nouveau saisie, se prononce au fond sur le projet et régularise ainsi le vice constaté.
La Cour précise également que si les moyens tirés de la méconnaissance de l’article L. 752-6 du code de commerce doivent être regardés comme inopérants, puisque la CNAC rendra un nouvel avis qui se substituera à celui de la CDAC, la requérante pourra ultérieurement invoquer de tels moyens pour contester l’éventuel permis de construire modificatif qui serait accordé après le nouvel avis de la CNAC.
- Par un troisième arrêt (16BX03291), la Cour a jugé que la possibilité pour la CNAC d’émettre un avis tacite ne l’exempte pas de l’obligation de réaliser un rapport d’instruction et de recueillir les avis des ministres chargés du commerce et de l’urbanisme. Pour autant, ce vice de procédure est susceptible d’être régularisé via la procédure prévue à l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme.
En l’espèce, une société a déposé une demande de permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale. Le projet a bénéficié d’un avis favorable de la CDAC. La CNAC, saisie d’un recours contre cet avis par une société concurrente, a tacitement rejeté le recours et donc émis un avis réputé favorable. Le permis de construire valant autorisation commerciale a ainsi été délivré. La société concurrente a alors demandé l’annulation du permis de construire en tant qu’il valait autorisation d’exploitation commerciale devant la Cour administrative d’appel.
La Cour relève que, bien qu’elle puisse rendre un avis tacite confirmant l’avis de la CDAC, la CNAC demeure dans l’obligation d’instruire le dossier et de recueillir les avis des ministres chargés de l’urbanisme et du commerce, conformément au dernier alinéa de l’article R. 752-36 du code de commerce. Or, il ressort de l’examen des pièces produites que ni le rapport d’instruction ni les avis des ministres concernés, n’ont figuré au dossier sur lequel la CNAC a rendu son avis.
La Cour juge alors que l’avis rendu par la CNAC est entaché d’irrégularité et que celle-ci est susceptible d’avoir eu une influence sur la décision attaquée.
Par suite, et compte tenu de l’absence d’autres motifs de nature à justifier l’annulation du permis de construire, la Cour considère qu’il y a lieu de sursoir à statuer, sur le fondement de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, et impartit à la CNAC un délai pour se prononcer à nouveau sur le recours de la société concurrente afin de régulariser le vice constaté.
Par Emmanuel Vital-Durand et Alexandre Gauthier, associés, et Lucie Pernet, collaboratrice, membres de la ligne de métiers Droit Public & Environnement de Gide.