12 mars 2020
France | Propriété Intellectuelle | Cette newsletter revient sur trois décisions intéressantes en matière de droit des marques, de brevets et d'abus de position dominante.
MARQUE DE L'UNION EUROPEENNE - CANNABIS - MARQUE CONTRAIRE A L'ORDRE PUBLIC - MOTIF ABSOLU DE REFUS
TUE, 12 décembre 2019, aff. T-683/18, Santa Conte / EUIPO
Un signe évoquant la marijuana ne peut pas, en l'état actuel du droit, être enregistré comme marque de l'Union européenne car un tel signe est contraire à l'ordre public.
Déposée en 2016 une demande d’enregistrement de marque semi-figurative de l’Union européenne était constituée de trois rangées de feuilles vertes de cannabis stylisées sur fond noir, de la mention "Cannabis" en position centrale, majuscules et gros caractères et, en-dessous, de la mention "Store Amsterdam" en petits caractères pour des produits alimentaires, des boissons et des services de restauration.
L'EUIPO, considérant que le signe était contraire à l'ordre public, a rejeté sa demande.
Le Tribunal de l'Union, saisi d'un pourvoi, a confirmé la décision de l'EUIPO et a rejeté la demande d’enregistrement du signe en cause au motif qu'"un signe évoquant la marijuana ne peut pas, en l’état actuel du droit, être enregistré comme marque de l'Union européenne".
Les juges estiment que c'est à bon droit que l'EUIPO a relevé que la représentation stylisée de la feuille de cannabis est le symbole médiatique de la marijuana (i), que la représentation de la mention "Amsterdam" fait référence à une ville dans laquelle la vente du cannabis est tolérée (ii) et que la représentation de la mention "Store" signifie usuellement "boutique" ou "magasin" et a pour effet que le public pourrait s'attendre à ce que les produits ou services commercialisés sous ce signe correspondent à ceux que proposerait un magasin de produits stupéfiants (iii).
Le Tribunal considère que c'est par la conjugaison de ces différents éléments que le signe en cause peut attirer l'attention des consommateurs qui ne disposent pas nécessairement des connaissances scientifiques ou techniques précises sur le cannabis en tant que substance stupéfiante, illicite dans de nombreux pays de l’Union européenne.
S'agissant de la notion d'"ordre public", le Tribunal rappelle que, même si la question de la légalisation du cannabis à des fins thérapeutiques ou mêmes récréatives fait l'objet de débats dans de nombreux Etats membres, en l'état actuel du droit, sa consommation reste illégale dans la plupart d'entre eux.
Dès lors, le fait que le signe en cause soit perçu, par le public pertinent, comme une indication que les aliments et les boissons visés dans la demande de marque, et les services s’y rapportant, contiennent des substances stupéfiantes, illicites dans plusieurs Etats membres, suffit pour conclure à sa contrariété à l’ordre public.
Le Tribunal souligne que, dès lors que l'une des fonctions d'une marque consiste à identifier l'origine commerciale du produit ou du service afin de permettre au consommateur de faire ses choix, le signe en cause incitant, implicitement mais nécessairement, à l'achat de tels produits et services ou, à tout le moins, banalise leur consommation.
FORME D’UN CUBE AVEC DES FACES AYANT UNE STRUCTURE EN GRILLE – SIGNE CONSTITUE EXCLUSIVEMENT PAR LA FORME DU PRODUIT NECESSAIRE A L’OBTENTION D’UN RESULTAT TECHNIQUE – MOTIF ABSOLU DE REFUS
TUE, 24 octobre 2019, aff. T-601/17, Rubik's Brand Ltd. / EUIPO
Le Tribunal de l'Union européenne confirme l’annulation de la marque tridimensionnelle de l’Union européenne constituée de la forme du "Rubik’s cube" au motif que sa forme est dictée par sa fonction technique.
En 2006, le producteur de jouets allemand Simba Toys a demandé à l'EUIPO d'annuler la marque tridimensionnelle du célèbre "Rubik's Cube", enregistrée en 1999 pour des "puzzles en trois dimensions".
Sa demande ayant été rejetée par la division d'annulation de l'EUIPO et la chambre de recours de l'EUIPO, Simba Toys a saisi le Tribunal qui a rejeté à nouveau son recours par un arrêt rendu le 25 novembre 20141 au motif que la validité doit être appréciée en fonction des caractéristiques essentielles du signe tel que représenté et non des caractéristiques invisibles telles que la capacité de rotation des éléments composant le cube.
Simba Toys a alors formé un pourvoi devant la Cour de justice de l'Union européenne, qui, par un arrêt du 10 novembre 20162, a annulé ces décisions au motif que pour analyser la fonctionnalité d'un signe, les caractéristiques essentielles d'une forme doivent être appréciées au regard de la fonction technique du produit concret concerné. La CJUE a ainsi estimé que le Tribunal aurait dû définir la fonction technique du produit concret en cause, c'est-à-dire un puzzle en trois dimensions, et en tenir compte dans l'évaluation de la fonctionnalité des caractéristiques essentielles de ce signe.
Par une décision du 19 juin 2017, l'EUIPO a annulé l'enregistrement de la marque "Rubik's Cube". Rubik’s Brand Ltd, actuel détenteur de la marque, a attaqué cette décision devant le Tribunal.
Le Tribunal procède à l'identification des caractéristiques essentielles du signe tel qu'il est représenté et, pour annuler la marque, retient que les seuls éléments caractéristiques du signe à prendre en compte, à savoir "la forme globale du cube" et "les lignes noires et petits carrés sur chaque face du cube", sont nécessaires au résultat technique recherché.
La forme du cube et les lignes noires qui s'entrecroisent sont nécessaires à l’obtention du résultat technique recherché en ce qu'elles divisent les faces du cube en neuf petits cubes de mêmes dimensions répartis en rangées de trois par trois, d'autant qu'elles sont indissociables de la fonction du produit, consistant à faire pivoter les rangées de petits cubes.
1 Arrêt du Tribunal du 25 novembre 2014, T-450/09, Simba Toys GmbH & Co. KG/OHMI.
2 Arrêt de la Cour du 10 novembre 2016, C-30/15 P, Simba Toys GmbH & Co. KG/EUIPO.
LA RESOLUTION AMIABLE D'UN LITIGE DE BREVET EN MATIERE PHARMACEUTIQUE PEUT-ELLE CONSTITUER UNE ENTENTE ET UN ABUS DE POSITION DOMINANTE ?
CJUE, 30 janvier 2020, aff. C307/18, GSK
La société GSK était titulaire du brevet sur le principe actif d'un médicament princeps antidépresseur, la paroxétine, arrivé à expiration en janvier 1999. GSK avait également obtenu des brevets secondaires couvrant quatre polymorphes de ce principe actif et leur procédé de fabrication dont certains n'expiraient qu'en 2016.
En 2000, plusieurs fabricants de médicaments génériques, dont les sociétés IVAX, GUK et Alpharma, ont envisagé d'entrer sur le marché du Royaume-Uni en offrant à la vente des versions génériques de la paroxétine.
Dans ce contexte, GSK a conclu trois accords avec ces fabricants de médicaments génériques.
Le premier accord, conclu avec IVAX, la désignait comme distributeur exclusif de la paroxétine au Royaume-Uni et prévoyait le versement par GSK d'une indemnité promotionnelle de 3,2 millions de livres sterling.
Les deux autres contrats signés avec GUK et Alpharma constituaient des accords de règlement amiable et empêchaient ces dernières de rentrer sur le marché en les obligeant à s'approvisionner auprès d'IVAX. En contrepartie, GSK a racheté les stocks de paroxétine générique, a remboursé les frais engagés pour la préparation et la production de la paroxétine générique, a remboursé une partie des frais de procédure et a versé des indemnités marketing de 1,2 et 1,65 millions de livres sterling.
L'Autorité de la concurrence et des marchés du Royaume-Uni ("CMA") a jugé dans une décision du 12 février 2016 que ces contrats constituaient une entente et un abus de position dominante de GSK et a condamné les sociétés susvisées au paiement d'une amende de 44,99 millions de GBD.
Celles-ci ont formé un recours devant le Competition Appeal Tribunal qui a décidé de surseoir à statuer afin d'adresser plusieurs questions préjudicielles à la Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE).
La CJUE a confirmé la décision de la CMA jugeant notamment que :
Par Caroline Wehner, Camille d'Angerville, Raphaëlle Dequiré-Portier et Emmanuel Larere